dimanche 2 septembre 2012

Le sommeil de Merlin l'enchanteur (quatorzième partie)


LE SOMMEIL DE MERLIN L’ENCHANTEUR  (QUATORZIÈME PARTIE)


XIV

Les yeux de Viviane dardaient un sombre feu
Et comme la géhenne ils s’enflammaient, radieux,
Un désespoir violent rendait frémissante
La voix mélodieuse de cette terrible amante,
Et la forêt tremblait de ses milles pleurs versés,
Et Merlin attendri en fut bouleversé.
Se mêlant aux flammes de la noire jalousie,
Comme la foudre au nectar, le vin à l’ambroisie,
La compassion rendit Merlin soudain serein
Et fit fondre en pitié sa volonté d’airain.
« Ne pleure pas ! » S’écria-t-il. La fée ravissante
Répondit avec une fureur croissante :
« A moi Mordred ! A moi Mordred ! Trop tard ! Trop tard ! »
Et Merlin oublieux, amoureux et hagard,
Lui glissa l’anneau de Radiance au doigt. Elle
Redevint calme, et une vie nouvelle
Gonfla ses veines ; se redressant lentement,
Dans ses noirs cheveux dénoués négligemment
Elle passa sa main et sourit, fière de sa gloire.
La vie de Merlin, sa science et sa mémoire,
S’en allaient vers elle et s’échappaient hors de lui
Par les brèches ouvertes d’où son être s’enfuit.
Viviane lui murmura, aimée et dédaignée,
L’incantation qu’il lui avait enseignée
En regardant au fond de ses yeux obéissants.
Il voulait résister au charme tout-puissant,
Mais n’avait plus ni la volonté ni la force.
Comme le fluide passe de la terre à l’écorce,
Il passait dans ses veines et il l’envahissait.
Sûre de son pouvoir, Viviane le pressait
Contre son sein farouche, avec une sombre joie,
Elle était assouvie, elle tenait sa proie !
Trois fois son baiser divin et triomphant
Tomba sur la bouche de Merlin, frêle enfant ;
Comme si leurs lèvres humides étaient des serres,
Trois fois les deux amants rêveurs s’embrassèrent,
Un voile épais roula sur les yeux aveuglés
Du prophète brisé, par Radiance appelé,
Mais ne pouvant l’entendre ; une vaste mer d’ombres
Envahit son cerveau et noya ses membres,
La terre disparut et le ciel disparut.

Ce jour-là Taliésinn, devant les flots accrus,
Près de la grotte d’Ossian, assis sur les sables,
Contemplait la mer et ses vagues innombrables
Comme ses souvenirs, sur la plage se brisant.
Il cherchait quelque chose dans les ondes, en  croisant
Ses mains sur ses genoux. Tout à coup le vieux sage
A ses disciples dit : « Dieu m’envoie un message,
Je vois, je vois Merlin, le prophète des Bretons,
Vêtu de sa bure plus blanche que le coton,
Endormi par une femme, s’enfoncer dans l’abîme !
Voilée d’un nuage sombre, sa harpe sublime
Descend, sanglante, avec lui. Je vois planer
Un ange aux ailes blanches, à pleurer condamné,
Qui le cherche vainement dans la nuit profonde !
Hélas ! Hélas ! Merlin, tu emplis le monde
De tes rayons et des sons de ton chalumeau !
J’ai vu tomber les fleurs, j’ai vu choir les rameaux,
Les bardes perdent leur pouvoir, et la sagesse
S’en va éternellement, mortelle déesse ! »

Le monde se souvient, grâce aux bardiques chansons,
Du nom de Merlin et de sa harpe aux doux sons.
Aujourd’hui, sous une haie profonde, impénétrable,
Le barde s’endort dans les bois vénérables,
Sur les genoux de Viviane, par elle envoûté,
Et personne ne réveille l’enchanteur enchanté
De son pesant sommeil, de ses rêves antiques.
Les chênes de Brocéliande cachent l’Orphée celtique
Aux yeux des voyageurs et des aventuriers,
Et en passant près de lui on l’entend prier. 

[FIN]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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