LE SOMMEIL DE MERLIN L’ENCHANTEUR (QUATORZIÈME PARTIE)
XIV
Les yeux de
Viviane dardaient un sombre feu
Et comme la
géhenne ils s’enflammaient, radieux,
Un désespoir
violent rendait frémissante
La voix mélodieuse
de cette terrible amante,
Et la forêt
tremblait de ses milles pleurs versés,
Et Merlin attendri
en fut bouleversé.
Se mêlant aux
flammes de la noire jalousie,
Comme la foudre au
nectar, le vin à l’ambroisie,
La compassion
rendit Merlin soudain serein
Et fit fondre en
pitié sa volonté d’airain.
« Ne pleure
pas ! » S’écria-t-il. La fée ravissante
Répondit avec une
fureur croissante :
« A moi Mordred !
A moi Mordred ! Trop tard ! Trop tard ! »
Et Merlin
oublieux, amoureux et hagard,
Lui glissa l’anneau
de Radiance au doigt. Elle
Redevint calme, et
une vie nouvelle
Gonfla ses veines ;
se redressant lentement,
Dans ses noirs
cheveux dénoués négligemment
Elle passa sa main
et sourit, fière de sa gloire.
La vie de Merlin,
sa science et sa mémoire,
S’en allaient vers
elle et s’échappaient hors de lui
Par les brèches
ouvertes d’où son être s’enfuit.
Viviane lui
murmura, aimée et dédaignée,
L’incantation qu’il
lui avait enseignée
En regardant au
fond de ses yeux obéissants.
Il voulait
résister au charme tout-puissant,
Mais n’avait plus
ni la volonté ni la force.
Comme le fluide
passe de la terre à l’écorce,
Il passait dans
ses veines et il l’envahissait.
Sûre de son
pouvoir, Viviane le pressait
Contre son sein
farouche, avec une sombre joie,
Elle était
assouvie, elle tenait sa proie !
Trois fois son
baiser divin et triomphant
Tomba sur la
bouche de Merlin, frêle enfant ;
Comme si leurs
lèvres humides étaient des serres,
Trois fois les
deux amants rêveurs s’embrassèrent,
Un voile épais
roula sur les yeux aveuglés
Du prophète brisé,
par Radiance appelé,
Mais ne pouvant l’entendre ;
une vaste mer d’ombres
Envahit son
cerveau et noya ses membres,
La terre disparut
et le ciel disparut.
Ce jour-là
Taliésinn, devant les flots accrus,
Près de la grotte
d’Ossian, assis sur les sables,
Contemplait la mer
et ses vagues innombrables
Comme ses
souvenirs, sur la plage se brisant.
Il cherchait
quelque chose dans les ondes, en
croisant
Ses mains sur ses
genoux. Tout à coup le vieux sage
A ses disciples
dit : « Dieu m’envoie un message,
Je vois, je vois
Merlin, le prophète des Bretons,
Vêtu de sa bure
plus blanche que le coton,
Endormi par une
femme, s’enfoncer dans l’abîme !
Voilée d’un nuage
sombre, sa harpe sublime
Descend,
sanglante, avec lui. Je vois planer
Un ange aux ailes
blanches, à pleurer condamné,
Qui le cherche
vainement dans la nuit profonde !
Hélas ! Hélas !
Merlin, tu emplis le monde
De tes rayons et
des sons de ton chalumeau !
J’ai vu tomber les
fleurs, j’ai vu choir les rameaux,
Les bardes perdent
leur pouvoir, et la sagesse
S’en va
éternellement, mortelle déesse ! »
Le monde se
souvient, grâce aux bardiques chansons,
Du nom de Merlin
et de sa harpe aux doux sons.
Aujourd’hui, sous
une haie profonde, impénétrable,
Le barde s’endort
dans les bois vénérables,
Sur les genoux de
Viviane, par elle envoûté,
Et personne ne
réveille l’enchanteur enchanté
De son pesant
sommeil, de ses rêves antiques.
Les chênes de
Brocéliande cachent l’Orphée celtique
Aux yeux des
voyageurs et des aventuriers,
Et en passant près
de lui on l’entend prier.
[FIN]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
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La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2180.
dimanche 2 septembre 2012
Le sommeil de Merlin l'enchanteur (quatorzième partie)
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