samedi 25 août 2012

Le sommeil de Merlin l’enchanteur (sixième partie)


LE SOMMEIL DE MERLIN L’ENCHANTEUR  (sixième PARTIE)



VI

Taliésinn répondit au moine : « Nos âmes adorent
Le Dieu unique que vos bouches implorent,
Mais nous croyons qu’il a donné la liberté
A l’homme, pour qu’il trouve tout seul la vérité.
Tu montres le port et tu montres le rivage
Et tu ne décris point le rude voyage ;
Aux marins de l’âme nous montrons les écueils
Et la mer immense et noire comme le deuil,
Nous leur décrivons les naufrages et les tempêtes.
Devant le même dieu nous courbons nos têtes,
Mais si Merlin préfère à la tempête le port,
Qu’il te suive, et nous le bénirons sans remords. »
Merlin, sans que nul mot ne sortît de sa bouche,
Voyait le barde doux et l’évêque farouche.
Il s’écria, devenu soudain audacieux :
« Pour le rayon céleste, pour la harpe des dieux,
Je veux risquer ma vie, car elle est mienne !
Que Jésus-Christ, pour me bénir, lui-même vienne,
Et que de ses mains il me donne la communion !
Je vois vos ombres et j’abhorre vos rayons,
Mon âme ne souffre point d’être par vous bénie,
J’entends en moi de douces et d’étranges harmonies,
J’entends chanter les anges et les enfers gronder,
Je vois des abîmes que vous ne pouvez sonder,
J’ignore si mon étoile est funeste ou faste,
Mais je la vois reluire dans le firmament vaste !
Je chercherai mon dieu dans les trois univers ! »
« De Satan tu es bien le fils. Va-t’en, pervers !
Suis ton chemin et je poursuivrai ma route.
L’Église ne peut rien pour les cœurs qui doutent ! »
S’écria le moine qui s’en alla, courroucé,
Et maudit le rebelle, le monstre et l’insensé.

La nuit profonde et des ombres amoureuse
Avait rendu la lande muette et ténébreuse.
Sur la pierre de l’épreuve, le jeune barde entendit
Le chant du collège qui dans les monts se perdit
Et invoquait pour lui les génies solaires.
La montagne elle-même, calme et crépusculaire,
Semblait dire à l’élu : « Dors, enfant révéré,
Du sommeil profond des dieux et des inspirés,
Dans ce cercle sacré que les fleurs parfument ! »
Bientôt la lande fut envahie par les brumes
Qui enveloppèrent Merlin, désormais seul,
Comme un invisible et vaporeux linceul.
Il y vit des fées qui étaient ravissantes
Et aussi des formes vagues et menaçantes.
Dormait-il ? Veillait-il ? Il ne le savait point.
Mais il lui semblait que le monde, déjà loin,
S’évaporait lentement et était chimérique.
Il sentit le frôlement des corps oniriques
Sur sa peau, pareils aux ailes des chauves-souris,
La lande disparut, le mont avait péri,
Et Merlin vit une forme surhumaine
Sortir du sol qui à la terre l’enchaîne.
De sa tête étoilée une radieuse clameur
Jaillissait, sur l’épaule du prophétique dormeur,
Sa main géante comme un roc s’appesantit.
Elle dit à Merlin : « Me reconnais-tu, petit ? »
« Non, hélas ! » répondit le barde sublime.
« Je suis le roi de l’air et l’ange de l’abîme,
Je suis ton père, l’ange tombé du firmament !
La science terrestre, l’empire des éléments
Et la magie des sens, c’est ce que je t’offre ! »
« Viens-tu du firmament ou viens-tu du gouffre ?
Demanda Merlin. Si tu viens du ciel radieux,
Donne-moi la science des âmes, le secret de Dieu
Et les lois de l’avenir qui chante avec paresse. »
« Sache que ce n’est point le ciel qui m’intéresse,
J’offre la volupté dans l’espace et le temps. »
Répondit à son fils le ténébreux Satan.
« Je ne te suivrai point. Les sciences de la Terre
Ne peuvent me séduire. Je veux voir les mystères
Que Dieu cache aux hommes. Plus hauts sont mes désirs ! »
« Arrogant ! Ce que tu n’as point voulu choisir,
Un jour tu l’envieras ! S’écria le spectre.
Mais sache que malgré moi je suis ton maître,
Pour que tu viennes au monde, je suis allé voir
Ta mère compatissante dans son couvent noir,
Merlin, tu m’appartiens ! Ton âme m’est chère !
Par les magnétiques courants de l’atmosphère,
Par l’effluve igné qui dans tes veines court,
Par le désir qui brûle en toi, par ton amour
Pour les choses du ciel, tu es mon fils ! Tu trembles
Car je te ressemble et tu me ressembles !
Et je te bénirai, bien que tu m’aies renié !
Tu es mon premier fils et aussi le dernier,
Et je t’offrirai un présent. Qu’il te rappelle
Que je suis venu ! » Et l’archange rebelle
S’envola dans les cieux. Merlin sentit tomber
Sur son dos par la houle de ses ailes courbé
Quelque chose de pesant. Pareil à un tonnerre,
Un grand cri s’éleva, et ces mots montèrent
Des entrailles de la terre et des tombeaux anciens : 
« Merlin, tu es mon fils et tu m’appartiens ! »

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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