mardi 28 août 2012

Le sommeil de Merlin l'enchanteur (neuvième partie)


LE SOMMEIL DE MERLIN L’ENCHANTEUR  (neuvième PARTIE)



IX

Fatigué de la chasse, le roi dormait un soir
D’un sommeil profond, dans son immense manoir.
Genièvre et Mordred de Merlin s’approchèrent,
Genièvre lui dit : « Si ta reine t’est chère,
Tu exauceras son vœu et suivras son penchant ;
Tu ne me chanteras point un amoureux chant,
Aux dieux on demande le nectar et l’ambroisie,
Plus noble est ma prière, plus rare ma fantaisie.
On m’a parlé d’un philtre magique et si puissant
Que l’homme qui le boit obéit et consent
Aux caprices de la femme qui le lui fait boire.
A Brocéliande une magicienne noire
Le garde, et toi seul pourras la dompter. »
De son œil clairvoyant qui apprit à compter
Les étoiles dans les cieux, et voit les mystères,
L’enchanteur regarda le couple adultère
Et sentit qu’il tramait un ténébreux complot.
Il répondit : « De cette forêt d’immenses flots
D’ombres et de nuit, m’éloignent et me séparent,
Je sais l’existence de ce philtre rare
Et qu’il est par une sombre sorcière gardé,
Car dans mes songes j’ai maintes fois regardé
Brocéliande et sa fontaine en Armorique,
Et j’ai sondé cette forêt féerique,
Mais il faut que je reste car le roi me requiert. »
Démon à la bouche captieuse et au cœur fier,
Mordred dit à Merlin : « Seule ta magie ancienne
Pourra dompter cette puissante magicienne !
Il te la faut combattre, il te la faut braver,
A nous et au roi et à ses sujets prouver
Que tout obéit à Merlin que rien n’effare !
Nos ennemis sont vaincus, nulle guerre ne se prépare,
Si tu ne vas pas à Brocéliande on dira
Que tu as peur, et même le roi te méprisera,
Car les âmes braves par les braves sont chéries ! »
Laissant l’Archibarde plongé dans sa rêverie,
Les fourbes s’en allèrent, tandis que lui, pensif,
Resta à sa place comme l’immobile récif.
Il pensa à dire à son ami et maître
Que Genièvre est volage et Mordred un traître,
Puis il se ravisa en songeant au danger
De dire des soupçons que le doute peut changer.
Il se promit, toutefois, de surveiller lui-même
Le neveu du pauvre roi ainsi que sa femme.
Mais un noir désir, plus que sa sagesse fort,
L’avait mordu au cœur et éloigné du port ;
Il pensait à cette femme qui serait son égale,
A la joie de la vaincre, douce et triomphale,
Et de l’aimer peut-être ! Son âme d’orgueil s’emplit
Comme son père qui en tombant des cieux pâlit,
Et le nom inconnu de cette sombre sorcière
Enflammait son âme et la rendait fière
Et, comme le nom de Radiance un blanc rayon,
Etait un ténébreux et farouche tourbillon
Qui dans son âme grondait comme la mer profonde
Violée par la tempête, gémissante gronde.
Vainement il se rappela les augustes conseils
Du sage Taliésinn ; son cœur était pareil
A une voile chétive, à un frêle navire
Qui dans la houle qui le tourmente chavire,
Et comme s’il était dément ou possédé,
Par son inquiétante rivale obsédé,
Ne dormait plus à cause de cette créature.
Il se disait : « Pour que je connaisse la nature,
Il me faut sonder le cœur de la femme aussi !
Puis-je me dire un maître en demeurant ici ?
Je suis enchanteur,  je ne suis point un ermite,
Qui loin des mortels et du monde médite,
Il faut partir et il faut cesser de songer ! »
Et au roi surpris il demanda un congé
Pour revoir Taliésinn. Sur sa voile légère,
Il alla vers la terre déserte et étrangère
Et de l’Armorique vit le rivage mystérieux.

Dans les bois deux fois plus sombres que les cieux,
Le voilà devant la fontaine de Jouvence,
Debout et tout seul dans la forêt immense.
Dans sa source pareille à un profond miroir
Où il contemplait son visage qu’il pouvait voir,
Il jette une pierre. L’eau calme bouillonne
Et Brocéliande houleuse vocifère des consonnes,
Tout devint un cri ! Un tonnerre souterrain
Roule avec le bruit d’un formidable airain,
La tourmente gronde, une tempête se déchaîne,
Fracasse les bouleaux et déracine les chênes,
Et Merlin impassible et farouchement hautain,
Avec le signe de Lucifer dans sa main
Etend le bras sur la ténébreuse source
Et lui dit : « De tes ondes tu arrêteras la course !
Au nom des puissances de la terre et du feu
Et de l’eau et de l’air, par ce signe radieux,
J’évoque la Femme puissante et redoutable !
A moi la magicienne ! La tourmente effroyable
Ne m’effraie pas, et je ne quitterai point ces lieux
Sans voir celle dont j’ignore le nom, pareille aux dieux ! »

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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