vendredi 31 août 2012

Le sommeil de Merlin l'enchanteur (douzième partie)


LE SOMMEIL DE MERLIN L’ENCHANTEUR  (Douzième PARTIE)


XII

Mordred, neveu d’Arthur, avec la reine s’enfuit
En Écosse, en emmenant comme la houle avec lui
Les Pictes révoltés et les Scots en colère.
Arthur fut vaincu dans une bataille meurtrière,
Dans la seconde, il fut par Merlin rejoint,
Et la défaite en fut plus sombre, et de loin
Ce que le Royaume connut de plus tragique,
Car Arthur périt dans un combat épique,
Et son corps disparut sous un fatal monceau
Et fut par les barbares coupé en mille morceaux
Puis par les vautours qui observaient la bataille
Et les assaillants et ceux qui les assaillent
Rongé promptement, comme un dîner copieux.
Sa tête fut suspendue à un énorme pieu
Et d’une farouche victoire devint l’emblème.
Accablé du désastre, courroucé et blême,
Merlin, victime de mille fantômes furieux,
Fut par Gildas appelé l’ennemi de Dieu
Et maudit publiquement à cause de la défaite.
L’évêque hurla : « Méfiez-vous des faux prophètes !
Dieu lui-même l’ordonna ! Son radieux paradis
Fermera ses portes à cet homme maudit !
Vous fûtes tous séduits par le fils du Diable,
Et cette défaite, noire et irrémédiable,
En fut le résultat ; l’invincible courroux
De Dieu a frappé ! » Et Merlin devint fou.
Le peuple lui jeta des pierres, et les blasphèmes
Tombèrent sur lui avec les pesants anathèmes,
L’on vit ce spectacle honteux et effrayant :
L’inspirateur d’Arthur, le prophète, le géant,
Errant à travers champs, insensé, en démence,
Recommandant sa harpe aux forêts immenses,
Hagard, abandonné, invoquant tour à tour
Viviane et Radiance, plein de haine et d’amour,
Disant le nom de son père que le feu embrase
Et le nom de Dieu, dans la même phrase.
De ses génies il ne pouvait plus ouïr les voix,
Frappé de surdité, seuls le nom de son roi
Et le nom de Radiance en lui résonnèrent,
Puissants comme la houle et comme le tonnerre.
Maudit, tout devint pou lui maudit. Il errait
Partout, priait, criait, gémissait et pleurait.
C’est alors qu’il alla voir sa mère chenue,
La pauvre Carmélis, qui vivait inconnue
Dans sa noire retraite. Elle seule n’avait pas cessé
De croire en lui. Souriant à son enfant blessé,
Elle lui dit : « Ô, mon fils chéri ! Modère
Tes chagrins ! Maudit par tous, béni par ta mère !
Même si tout te hait, il te reste mon amour !
Souffre ton martyre en silence, espère toujours !
L’anneau de Radiance dans ton doigt brille encore,
Pareil au soleil et pareil à l’aurore ;
Ne le perds pas ! Par lui tu peux reconquérir
Ta science et ta harpe ! » Mais un obscur désir
Conduisait l’enchanteur à Viviane maudite
Et aussi belle que la divine Aphrodite.
Il savait qu’elle était la cause de son malheur
Et l’abhorra maintes fois en versant des pleurs ;
 Or une amoureuse rage, indicible,
Comme la tempête qui rugit, impassible
Ramène les voiles tremblantes et frêles à la mer,
Ramenait vers elle le barde au cœur amer.
Il n’avait qu’une pensée, il n’avait qu’une envie :
La voir, la posséder, et lui prendre la vie,
L’aimer, la haïr, la revoir et la punir,
L’avoir, l’abandonner, la maudire, la bénir !

Il revint donc aux bois où Viviane est cachée
Et sous son bosquet la vit, à demi couchée ;
Sur sa harpe ses deux bras étaient appuyés
Et son corps sur elle était doucement ployé,
Sa chevelure pendait sur les divines cordes
De l’instrument volé du misérable barde,
Les yeux à terre, elle rêvait profondément,
Et contemplait quelque chose dans son affaissement.
Merlin l’appela la friponne et la rusée,
Et Viviane immobile et qui semblait brisée
Ecoutait ses reproches et ses malédictions.
« Tu n’es qu’une fourbe, une pâle fiction !
Lui disait-il. Rends-moi ma harpe aux sons tendres ! »
« Ô, mon amour ! Je la gardais pour te la rendre,
Répondit la fée. Tu m’aimais et je t’aimais,
Mais tu m’as repoussée ! Je n’oublierai jamais
Que ton cœur fut cruel, que tu fus insensible ! »
De sa voix frémissante, à peine perceptible,
Elle poursuivit : « Maintenant, il faut nous dire adieu !
Si tu veux ta harpe, prends-la et quitte ces lieux,
Tu ne me reverras plus, même quand tu sommeilles !
Alors prends ta harpe qui berce et réveille ;
Adieu ! » Merlin, devant son amante plié,
Eperdu d’amour, se mit à la supplier
En lui rappelant leur serment. La tête courbée,
La fée resta longtemps muette et absorbée,
Et Merlin ne vit pas, dans ses farouches transports,
Qu’elle souriait fourbement, comme sourit le sort.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Mon avis sur cet article: