jeudi 30 août 2012

Le sommeil de Merlin l'enchanteur (onzième partie)



LE SOMMEIL DE MERLIN L’ENCHANTEUR  (onzième PARTIE)


XI

Viviane dit au barde : « Il existe un charme
Redoutable, et dont le mystère m’alarme,
Et qui plonge l’homme qui s’endort en rêvant
Dans un profond sommeil, séparé des vivants
Par un mur invisible, pour lui infranchissable,
Et le garde captif d’une prison impalpable.
Ô, Merlin ! Dis-le-moi, si tu es mon amant ! »
Le barde ensorcelé lui sourit fièrement
Et il pressentit son amoureuse traîtrise,
Mais il était, malgré cela, sous son emprise.
La fée se colla à lui et lui tendit
Son oreille rose, et elle entendit
La magique formule. Il ajouta : « Sache
Que ce charme est sur moi sans effet, et cache
Ce sombre secret à tous les faibles mortels. »
« Ne crains rien ! Dit Viviane. Par la terre et le ciel !
Crois-tu que je vais m’en servir, et que j’ose
Sans craindre celui qui a créé les choses,
L’utiliser ? Merlin poursuivit gravement :
« J’en suis préservé par cet antique talisman,
Par cet anneau, présent de ma consolatrice
Radiance, que les dieux et les héros bénissent. »
Une fauve lueur sillonna les yeux
De la fée séduisante au cœur impétueux.
Elle baissa la tête et devint pensive
Comme le marin qui espère les lointaines rives.
« Qu’as-tu, ma douce Viviane ? » Dit amoureusement
Le barde. Reprenant soudain son enjouement,
Viviane renversa, mielleuse et aimante,
Sur l’épaule du prophète sa tête charmante
Avec une triste et dangereuse langueur,
Et semblait étreindre son âme et son cœur
Avec son dos serrant sa poitrine chaleureuse.
Les doigts de son amant, dans sa chevelure soyeuse
Etaient plongés, pareils aux doigts d’un musicien
Qui caresse les cordes d’un instrument ancien.
Autour de sa main il en tordit une natte,
« Je suis ton Apollon et tu es mon Hécate 
Et ma harpe vivante ! » Et Viviane vibrait
Sous son étreinte. Dans l’abîme il sombrait,
Et ce corps suppliant, ployé comme une aile,
Lui disait des douceurs sublimes et charnelles.
De leurs ardents baisers la forêt frémissait,
L’univers tout entier tout à coup s’emplissait
D’une mer de musique sans cesse grandissante.
L’air extasié, Viviane, qui était absente,
Dit à Merlin : « Embrasse-moi, donne-moi maintenant
Le baiser éternel, farouche et tonnant
De nos fiançailles ! » Les deux amants restèrent
Immobiles, au bord d’un abîme austère
Qu’ils contemplaient ensemble, n’osant point s’y jeter,
Enivrés par cette étreinte et arrêtés.

Soudain, Merlin tremblant qui leva la tête
Vit un vol de corbeaux, ténébreux poètes,
Passer, d’une clameur formidable suivi,
Et, pareil au cri de Tantale inassouvi,
Un cri s’éleva dans les airs, portant l’agonie
D’un peuple supplicié, horrible et infinie :
« Arthur ! Arthur ! » Haletants, furieux, désespérés,
Les bois en tremblaient, et les cieux déchirés
En répétèrent l’écho, palpitants d’angoisse.
Merlin, comme une feuille morte que la houle froisse,
Etait serré par la fée. Il la repoussa
Tout à coup, et droit, les bras levés, se dressa
Aspirant l’air dont le privait son étreinte,
Se réveillant et la maudissant sans crainte.
Sur le mortel silence des bois, une voix monta
Et dit à l’enchanteur que le désir dompta : 
« Qu’as-tu fait de ta harpe ? Cette noire traîtresse
Qui est ton ennemie et n’est point ta maîtresse,
Te l’a volée ! Qu’as-tu fait de ton roi trahi ?
Aux commandements de Viviane tu obéis,
Tu oublias Radiance, et plein de faiblesse,
Avec les dards de ton oubli tu la blesses ! »
« A moi ma harpe ! A moi Radiance ! » S’écria
Merlin. Il se calma un instant et pria
Puis jeta les yeux autour de lui. Viviane,
La tour et le bosquet d’où un parfum émane,
Et le lit de jonquilles, tout n’était qu’illusion !
Un sanglot monta, tel une humide vision,
Voluptueux, du fond des ondes assombries :
« Adieu, Merlin, adieu, âme endolorie ! »
Le barde affolé sur la source se pencha
Et en la contemplant, vainement il chercha
Le visage de Viviane, et vit son visage
Défait, et son œil hagard et sauvage.
Alors il hurla : « Tu reviendras ! Je le veux ! »
Et à travers les bois, s’arrachant les cheveux,
S’enfuit comme un fantôme dans l’ombre sereine,
Incommensurable et de dangers pleine.

[A SUIVRE] 


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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