mardi 2 juin 2015

Conte: Aucassin et Nicolette (Partie VII)

CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE VIi) 


VII. La mésaventure d’Aucassin et de Nicolette, comment Nicolette sut qui était son père, et pourquoi elle prit une deuxième fois la fuite

Nicolette dit, quand Aucassin fut pansé :
« Ah ! dans notre transport nous n’avons point pensé
A ce que notre avenir sombre nous réserve.
Que le passé, hélas ! de leçon nous serve !
Votre père m’abhorre et me croit vous souiller,
Il viendra sans aucun doute au matin fouiller
Toute cette forêt à votre recherche.
Nous sommes de lui à quelques lieues de marche,
Il nous trouvera. J’ignore quel sera votre sort,
Mais je sais que le mien sera l’affreuse mort. »
« Ne vous inquiétez point. », dit Aucassin, tendre,
Qui monta à cheval sans vouloir rien entendre,
Prit sa mie dans ses bras et s’en alla chargé
Du faix de ses amours, loin des jeunes bergers
Et de son vieux père prenant la fuite.
« Où irons-nous, mon doux ami, ensuite ? »
Lui demandait sa mie. « Ma Nicolette, on fuit,
Répondait-il, où le vent du sort nous conduit.
Nous sommes ensemble, c’est tout ce qui importe. »
Ils traversèrent, eux et le cheval qui les porte,
Plusieurs villes et des bourgs, et le cœur moins amer,
Arrivèrent enfin au bord de la grande mer.
Aucassin aperçut des marchands sur les ondes
Propices à leur fuite et en hasards fécondes ;
D’approcher il leur fit signe, et on envoya
Une barque qu’à les quérir on employa,
Et on reçut le fils du comte avec sa mie.
Ils ne devinaient point du sort les infamies ;
Bientôt une horrible tempête qui gronda
Et qui de toutes parts tout à coup les fronda,
Leur fit chercher un port dans la ville voisine,
Mais ils virent alors une flotte sarrasine
Qui à attaquer leur vaisseau se prépara
Et, plus nombreuse et mieux armée, s’en empara
Et fit prisonniers Aucassin et Nicolette.
Dans l’un des navires on porta la fillette
Et Aucassin dans un autre, et on s’éloigna.
Mais une tourmente plus terrible empoigna
La flotte, et sépara des amants les navires.
Aucassin, que les flots à sa mie ravirent,
Ballotté et jeté par les vents courroucés
De côte en côte, fut à son château poussé.
Les habitants le virent avec réjouissance,
De Dieu bénissant la bonté et la puissance,
Et il fut au château mené et secouru.
Le comte son père en son absence mourut
Car il était fort vieux, et non de tristesse,
Ainsi que sa femme, la brave comtesse.
Aucassin, devenu comte, prit possession
Du château, regrettant l’objet de sa passion
Que malgré son pouvoir ramener est impossible.
De Nicolette les ravisseurs impassibles
Etaient les douze fils du puissant et grand roi
De Carthage, qui au monde inspirait l’effroi ;
Pour sa beauté emplis de douce idolâtrie,
Ils la traitèrent avec respect ; sur sa patrie
Ils l’interrogèrent, et les noms de ses parents.
« Je ne sais », répondit-elle en leur déclarant
Qu’elle fut enlevée, jeune encore, et vendue
Par des Sarrasins. Quand elle se fut rendue
A Carthage, à l’aspect des royaux appartements
Que, prisonnière, elle contemplait tristement,
Et des grands édifices, elle put reconnaître
Avec étonnement les lieux qui la virent naître,
Et le roi bienveillant de ce pays lointain
Que Nicolette est sa fille devint certain
Quand elle raconta quelques circonstances,
Que le sort lui ramena malgré la distance.
Il sauta à son cou en pleurant de bonheur,
Et ses frères, qui la vouaient au déshonneur,
Embrassèrent leur sœur charmante et aimable.
On lui conta sur son enfance mille fables
Et on lui proposa un prince pour mari.
Mais son cœur, d’Aucassin épris, en fut marri,
Et elle ne songeait qu’à aller le rejoindre.
Dans ce dessein, elle commença par feindre
D’y penser, d’apprendre le violon s’avisa,
Puis en noircissant le front se déguisa
En revêtant cotte, braies et manteau d’homme,
Et d’un marinier qui quittait le royaume
Et passait en Provence, obtint la permission
De voyager avec lui, avec pour mission
De violonner et de bercer l’équipage.
Ils voyagèrent sur les flots sans tapage ;
Débarquée, Nicolette alla, preste, prier,
Comme le marinier un bon ménétrier,
Qui la prit à son bord. Au deuxième mouillage,
Elle atteignit Beaucaire à la fin du voyage.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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