CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE IiI)
III. Le serment que fit le comte Garins, et celui
que son fils Aucassin fit faire à son ennemi, le comte Bongars
Aucassin, rentré chez lui, la douleur
dans l’âme,
Monta dans sa chambre, embrasé par sa
flamme,
Pour soupirer et pour gémir en liberté.
L’amoureux s’écria, par l’amour
transporté :
« Nicolette, ma belle, ma sœur, ma
douce amie !
D’un père et du destin ô cruelle infamie !
On veut, pour lasser mon cœur, me faire
souffrir,
C’est pour toi que je vis et que je vais
mourir !
N’entendrai-je donc plus le son de ton
rire
Et le son de tes pas ? on veut te
proscrire
Alors que seule toi dis de battre à mon cœur,
Et de ma joie on fait une sombre rancœur. »
Il demeura ainsi plongé dans ses
alarmes,
Et tandis qu’il versait pour sa mie des
larmes
Et qu’il se lamentait pour elle
tristement,
Le comte Bongars, qui voulait vaincre
promptement,
Assaillait le château avec toutes ses
forces
Comme des cerfs hideux une vieille
écorce.
Les braves chevaliers et les preux
écuyers,
Malgré la défaite qu’ils pensaient
essuyer,
Car l’ennemi était plus nombreux, s’armèrent
Et pour leur comte et leur ville s’alarmèrent
Et coururent faire leur belliqueux
devoir.
Les bourgeois, aux créneaux montés,
faisaient pleuvoir
Sur l’ennemi des dards, des pieux et des
flèches
Et parfois des pierres, et les gorges
rudes et sèches
Etaient emplies de cris pour redonner
vigueur
A ces combattants qui combattaient sans
langueur.
Or il fallait un chef à ces hommes
preux, certes,
Mais qui sans commandant couraient à
leur perte.
Dès qu’il apprit que l’un de ses
vaillants mourut,
A la chambre de son fils le comte
courut,
Eperdu, et lui dit : « Ah !
Tu n’es qu’un pleutre !
On prend ton château, prends les armes
et va combattre !
Pour Nicolette veux-tu te voir
dépouiller ?
Ne laisse point l’ennemi, mon cher fils,
nous souiller,
Joins tes vassaux, défends ton noble
héritage !
Va combattre et arrête ton galant
ergotage !
Si tu n’en as pas le cœur, quand tu
paraîtras,
Notre armée de lutter jamais ne s’arrêtera
Et ta seule présence augmentera son
ardeur. »
« Mon père, répondit l’amant avec
froideur,
Epargnez-vous et moi ces discours
inutiles
Et faites-moi grâce de vos conseils
futiles.
Je ne frapperai point avant de m’accorder... »
« A tout perdre j’aime mieux me
hasarder ! »
Interrompit le père qui sortit en
colère.
« Attendez ! lui dit son fils.
Je veux bien vous plaire
A une condition : si je reviens
glorieux,
Vous me laisserez voir, une fois victorieux,
Ma douce Nicolette, lui parler de ma
fièvre
Et embrasser une seule fois ses lèvres. »
Le père fut réduit à en faire serment.
Aucassin, songeant à sa belle au front
charmant,
Demande un haubert et des armes ;
on lui amène
Un cheval vigoureux. D’une ardeur
surhumaine,
Il s’avance, voulant triompher et
chérir,
Vers une des portes qu’il ordonne d’ouvrir.
Enivré du projet de ce baiser tendre,
Il marchait sans rien voir et sans rien
entendre
Jusqu’au champ de bataille. On le
croyait vaincu,
L’ennemi lui arracha sa lance et son
écu,
Tout à coup il s’éveille, aux
assaillants échappe,
Prend sa lourde épée, à droite et à
gauche frappe,
Tranche, enlève des bras et têtes aux
chevaliers
Qui croient combattre, au lieu d’un
ennemi, des milliers,
Comme le sanglier dont la lutte violente
Ne laisse autour de lui qu’une place
sanglante
Et vide, quand il est attaqué par les
chiens.
Il tue dix chevaliers et blesse sept si
bien
Qu’ils ne pouvaient bouger. En regagnant
la ville,
Du comte Bongars il voit la tête vile
Et lui assène sur le heaume un coup si
fort
Qu’il s’en évanouit et en faillit être
mort.
Le saisissant par son nasal, à son père
Il le ramène ainsi et lui dit : « J’espère
Que vous allez maintenant exaucer mes
désirs. »
« Ah ! beau fils, s’écrie
Garins avec plaisir,
On parlera de toi avec force éloges ! »
Et son fils Aucassin alors l’interroge :
« Et ma mie ? Vous m’avez
promis de la voir. »
« Moi ? répondit le père, je t’ai
bien fait savoir
Que cette fille n’est point pour toi,
mon fils, faite !
Allons, allons, il nous attend une fête
Où tu rencontreras, amoureuses de toi,
Les plus belles princesses qui viendront
sous ce toit
Comme moi et ta mère louer ton courage. »
Aucassin repartit : « Mentir
à votre âge
Est une chose honteuse. » Se
tournant vers Bongars :
« Comte de Valence, dit-il à l’homme
hagard,
Vous êtes mon captif, je suis votre
maître,
Pour vous libérer, vous devez me
promettre
Que vous nuirez, vous, vos chevaliers et
sergents,
Toujours à mon père. » « Demandez
or, argent,
Palefrois, chiens, oiseaux, des biens ou
des fourrures,
Répondit le comte, ma fille et ses
parures,
Mais ne me raillez pas par vos dires
injurieux. »
« Ah ! point de réplique !
reprit l’amant furieux.
Faites ce que je vous dis, ou je vous
révèle
Que je vous fendrai à l’instant la
cervelle. »
Bongars effrayé fit cet étrange serment
En tremblant cependant du guerrier
alarmant
Qui le reconduisit sans hasard à la
porte
De la ville. De se voir trahi de la
sorte
Son père courroucé l’arrêta au retour
Et il l’enferma dans la prison de la
tour.
[A SUIVRE]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
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La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
vendredi 29 mai 2015
Conte: Aucassin et Nicolette (Partie III)
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