CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE V)
V. Ce que fit Nicolette pour éprouver son ami,
et le bruit que le vicomte, son parrain, fit courir sur son destin
A portée d’arbalète du fossé, commençait
La forêt qu’en ces temps-là hantée on
pensait,
Longue et large de vingt lieues, emplie
de bêtes
Venimeuses et féroces, que voir
seulement hébète
Le plus brave des hommes qu’elles font
tressaillir.
Nicolette tremblait de les voir
l’assaillir,
Mais si elle restait, elle serait
reprise,
Et face à un hasard certain on méprise
Un hasard attendu ; c’est la loi du
danger.
Nicolette alla donc se cacher sans
songer
Sous d’épais buissons qui formaient la
lisière.
Elle dit d’abord tout bas une prière,
Et malgré le péril, s’assoupit et dormit
Jusqu’au matin, le cœur par Dieu
raffermi.
Les bergers de la ville, comme
d’habitude,
Avaient conduit leurs bêtes dans cette
solitude.
Pendant qu’elles paissaient, les
pasteurs à deux pas
S’assirent pour prendre leur matinal
repas
En étendant une cape sur l’herbe, et
mirent
Leur pain dessus. De voir Nicolette ils
frémirent
Quand elle s’approcha d’eux en les
saluant
Et leur dit : « Beaux
enfants comme roses effluant,
Je cherche Aucassin, fils du comte de
Beaucaire.
L’avez-vous vu ? » D’abord ils
s’interloquèrent
En voyant cette dame qui reluisait bellement
Et dont les doux charmes les éblouirent
tellement
Qu’ils crurent qu’elle était une fée
errante.
Elle ajouta avec une voix
implorante :
« Mes amis, allez lui dire qu’il
trouvera
Une biche blanche qui bientôt se
sauvera,
Pour laquelle il donnerait tout ce qu’il
possède,
Qu’il a déjà vue et que revoir
obsède ;
Elle ne ressemble point aux autres
animaux,
Elle le guérira promptement de ses maux,
Dites-lui qu’il faut qu’il vienne et
qu’il la chasse,
Qu’il ne la reverra plus, si trois jours
passent,
Ni dans cette forêt, ni sous cet
horizon,
Et pourra renoncer à telle
guérison. »
Et elle leur donna cinq sous de sa
bourse
De leurs pas leur disant de hâter la
course.
Ils les prirent mais dirent, avant de
repartir,
Que s’ils le voyaient ils allaient l’en
avertir,
En lui faisant sur sa beauté force
éloges.
Près du chemin elle construisit une loge
Petite et en feuillage, et voulut
éprouver
Son amant. « S’il m’aime, il pourra
la trouver,
Se dit-elle ; si son âme est
indifférente... »
Et elle se tut. Des fleurs odoriférantes
Et d’herbes elle garnit jusqu’à la fin
du jour
Cette belle maison de ses douces amours,
Et se cacha sous un buisson en guettant
l’heure
De le voir arriver à cette demeure.
Il était sorti de prison sans l’oublier.
Le vicomte tremblant fit partout publier,
Pour prévenir la colère du comte et sa
perte,
Que sa chère pupille était dans la nuit
morte.
Des inquiétudes qu’elle lui donnait
délivré
Et de ne plus ouïr son nom de joie
enivré,
Le comte libéra son fils, et voulut même
Donner une fête pour le rendre moins
blême,
Et invita ses chevaliers et damoiseaux.
Aucassin désirait s’envoler, tel l’oiseau,
Loin de ces lieux, plongé dans sa mélancolie.
Un chevalier vint à lui. « C’est
une folie,
Lui dit-il, que l’amour. Comme vous j’ai
gémi
Et d’être séparé de ma mie j’ai blêmi.
Pour que votre douleur, sire, vous soit
moins dure,
Allez à la forêt à cheval ; la
verdure
Et les chants des oiseaux doux qui s’envoleront
Vous égaieront un peu et vous
consoleront. »
L’amant le remercia de sa sollicitude,
Quitta la salle et, le cœur plein de
lassitude,
Pour s’en aller aux bois fit sceller son
cheval
Et sortit du château bruyant et
festival.
[A SUIVRE]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
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La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
dimanche 31 mai 2015
Conte: Aucassin et Nicolette (Partie V)
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