dimanche 31 mai 2015

Conte: Aucassin et Nicolette (Partie V)

CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE V) 


V. Ce que fit Nicolette pour éprouver son ami, et le bruit que le vicomte, son parrain, fit courir sur son destin

A portée d’arbalète du fossé, commençait
La forêt qu’en ces temps-là hantée on pensait,
Longue et large de vingt lieues, emplie de bêtes
Venimeuses et féroces, que voir seulement hébète
Le plus brave des hommes qu’elles font tressaillir.
Nicolette tremblait de les voir l’assaillir,
Mais si elle restait, elle serait reprise,
Et face à un hasard certain on méprise
Un hasard attendu ; c’est la loi du danger.
Nicolette alla donc se cacher sans songer
Sous d’épais buissons qui formaient la lisière.
Elle dit d’abord tout bas une prière,
Et malgré le péril, s’assoupit et dormit
Jusqu’au matin, le cœur par Dieu raffermi.
Les bergers de la ville, comme d’habitude,
Avaient conduit leurs bêtes dans cette solitude.
Pendant qu’elles paissaient, les pasteurs à deux pas
S’assirent pour prendre leur matinal repas
En étendant une cape sur l’herbe, et mirent
Leur pain dessus. De voir Nicolette ils frémirent
Quand elle s’approcha d’eux en les saluant
Et leur dit : « Beaux enfants comme roses effluant,
Je cherche Aucassin, fils du comte de Beaucaire.
L’avez-vous vu ? » D’abord ils s’interloquèrent
En voyant cette dame qui reluisait bellement
Et dont les doux charmes les éblouirent tellement
Qu’ils crurent qu’elle était une fée errante.
Elle ajouta avec une voix implorante :
« Mes amis, allez lui dire qu’il trouvera
Une biche blanche qui bientôt se sauvera,
Pour laquelle il donnerait tout ce qu’il possède,
Qu’il a déjà vue et que revoir obsède ;
Elle ne ressemble point aux autres animaux,
Elle le guérira promptement de ses maux,
Dites-lui qu’il faut qu’il vienne et qu’il la chasse,
Qu’il ne la reverra plus, si trois jours passent,
Ni dans cette forêt, ni sous cet horizon,
Et pourra renoncer à telle guérison. »
Et elle leur donna cinq sous de sa bourse
De leurs pas leur disant de hâter la course.
Ils les prirent mais dirent, avant de repartir,
Que s’ils le voyaient ils allaient l’en avertir,
En lui faisant sur sa beauté force éloges.
Près du chemin elle construisit une loge
Petite et en feuillage, et voulut éprouver
Son amant. « S’il m’aime, il pourra la trouver,
Se dit-elle ; si son âme est indifférente... »
Et elle se tut. Des fleurs odoriférantes
Et d’herbes elle garnit jusqu’à la fin du jour
Cette belle maison de ses douces amours,
Et se cacha sous un buisson en guettant l’heure
De le voir arriver à cette demeure.

Il était sorti de prison sans l’oublier.
Le vicomte tremblant fit partout publier,
Pour prévenir la colère du comte et sa perte,
Que sa chère pupille était dans la nuit morte.
Des inquiétudes qu’elle lui donnait délivré
Et de ne plus ouïr son nom de joie enivré,
Le comte libéra son fils, et voulut même
Donner une fête pour le rendre moins blême,
Et invita ses chevaliers et damoiseaux.
Aucassin désirait s’envoler, tel l’oiseau,
Loin de ces lieux, plongé dans sa mélancolie.
Un chevalier vint à lui. « C’est une folie,
Lui dit-il, que l’amour. Comme vous j’ai gémi
Et d’être séparé de ma mie j’ai blêmi.
Pour que votre douleur, sire, vous soit moins dure,
Allez à la forêt à cheval ; la verdure
Et les chants des oiseaux doux qui s’envoleront
Vous égaieront un peu et vous consoleront. »
L’amant le remercia de sa sollicitude,
Quitta la salle et, le cœur plein de lassitude,
Pour s’en aller aux bois fit sceller son cheval
Et sortit du château bruyant et festival.

[A SUIVRE]

Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Mon avis sur cet article: