CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE Vi)
VI. Comment Aucassin trouva sa mie Nicolette dans la
forêt
Les pastoureaux étaient, dans la forêt
lointaine,
Assis comme au matin au bord de la
fontaine,
Et sur la même cape ils mangeaient deux
gâteaux.
Aucassin, qui était à trois lieues du
château,
Entendit l’un d’eux dire à ses camarades :
« Que Dieu garde Aucassin, notre
maître malade
D’amour, et la belle fillette aux blonds
cheveux
Grâce à laquelle je mange ce que je
veux,
Et qui nous a donné de quoi acheter sans
lutte
Cornets, couteaux à gaine, maillets,
pipeaux et flûtes. »
Aucassin qu’on parlait de sa mie
soupçonna,
Il accosta alors les bergers, leur donna
Dix sous chacun afin d’expliquer ce
mystère.
A ce doux présent point ils ne
résistèrent,
Et le plus éloquent sans tarder lui
conta
Après avoir caché ses sous qu’il
recompta
L’aventure qui les rendit soudain
riches,
Ce que leur dit la fée, l’histoire de la
biche
Qu’il faut qu’il chasse en trois jours,
et qu’il en sera
Guéri de tous ses maux qu’elle lui
pansera.
« Dieu me la fasse voir ! »
dit-il, intrépide,
Et il alla aux bois sombres d’un pas
rapide.
En marchant il disait : « Nicolette,
je viens
Dans cette forêt sombre et éloigné des
miens
Braver les féroces bêtes qui la hantent
Car ce ne sont point ces fauves qui m’épouvantent
Mais vivre sans vous, ma mie, et sans
vos beaux yeux
Dont je serai toujours l’adorateur
pieux.
A mes feux, ma beauté, daignez donc
apparaître
Pour que je revive et que je puisse
renaître. »
Il allait, fouillant des yeux les
buissons cachés,
Les habits à chaque pas qu’il fit
arrachés
Par les ronces et les épines saillantes,
Mais en continuant ses recherches
vaillantes.
Tout son corps en était déchiré ;
en passant
L’on eût pu le suivre à la trace de son
sang,
Mais il ne songeait, en ignorant ses
blessures,
Qu’à se mie Nicolette, et sa marche
était sûre.
Il passa sans succès ce qui restait du
jour
A chercher dans les bois l’objet de ses
amours ;
La nuit vint, il pleurait ses sombres
infortunes,
Mais il marchait toujours, éclairé par
la lune,
Et arriva enfin au logis construit
Par Nicolette, où il entra sans aucun
bruit.
En voyant les fleurs dont la loge était
ornée,
Fatigué des périls d’une rude journée,
Il s’y reposa et se dit que sûrement
Sa Nicolette était dans ce foyer
charmant
Et que c’étaient ses mains blanches qui
l’élevèrent,
Et ses yeux de la voir le bâtir
rêvèrent.
Son transport était tel qu’il tomba de
cheval
Et se démit l’épaule. De sa douleur
rival,
Il l’attacha avec l’autre main à un
arbre.
Il s’écria, entré dans la loge sombre :
« Belles fleurs, rameaux verts que
ma mie a cueillis !
Ah ! si j’étais par elle en ces
lieux accueilli !
Que de fois j’embrasserais tendrement sa
bouche !
Je lui dirais des choses douces et
farouches
Qu’avec bonheur de son amant elle
ouïrait,
Et dans ces ténèbres mon cœur s’épanouirait. »
Nicolette était là, et la douce amante
Qui entendit la voix d’Aucassin
charmante
Courut à lui les bras ouverts et l’embrassa
Tendrement, blanche biche que le
chasseur chassa.
« Mon bel ami, lui dit-elle, Dieu
nous prouve
Sa miséricorde, et grâce à lui je vous
trouve ! «
Il la serra à son tour dans ses bras
aimants
Et l’embrassa avec transport. « Ma
mie, vraiment,
S’écria-t-il, sans vous je me lassais de
vivre,
Et du bonheur de vous revoir je m’enivre !
Grâce à vous et à Dieu, j’ai vaincu ma
douleur. »
Nicolette de le voir changer de couleur
Etait effrayée. Quand elle en sut la
cause,
De converser elle s’octroya une pause,
Lui tâta l’épaule et en place la remit,
Et la douce amante qui de son mal frémit
Y appliqua des fleurs et plantes
salutaires
Qu’elle connaissait et firent sa douleur
taire,
Et les assujettit ensuite avec savoir
Avec des pans de sa chemise, et laissa
voir
A son ami ébloui, pareille à la grêle,
Des pans de sa blanche peau parfumée et
frêle.
[A SUIVRE]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
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La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
lundi 1 juin 2015
Conte: Aucassin et Nicolette (Partie VI)
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