lundi 1 juin 2015

Conte: Aucassin et Nicolette (Partie VI)

CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE Vi) 


VI. Comment Aucassin trouva sa mie Nicolette dans la forêt

Les pastoureaux étaient, dans la forêt lointaine,
Assis comme au matin au bord de la fontaine,
Et sur la même cape ils mangeaient deux gâteaux.
Aucassin, qui était à trois lieues du château,
Entendit l’un d’eux dire à ses camarades :
« Que Dieu garde Aucassin, notre maître malade
D’amour, et la belle fillette aux blonds cheveux
Grâce à laquelle je mange ce que je veux,
Et qui nous a donné de quoi acheter sans lutte
Cornets, couteaux à gaine, maillets, pipeaux et flûtes. »
Aucassin qu’on parlait de sa mie soupçonna,
Il accosta alors les bergers, leur donna
Dix sous chacun afin d’expliquer ce mystère.
A ce doux présent point ils ne résistèrent,
Et le plus éloquent sans tarder lui conta
Après avoir caché ses sous qu’il recompta
L’aventure qui les rendit soudain riches,
Ce que leur dit la fée, l’histoire de la biche
Qu’il faut qu’il chasse en trois jours, et qu’il en sera
Guéri de tous ses maux qu’elle lui pansera.
« Dieu me la fasse voir ! » dit-il, intrépide,
Et il alla aux bois sombres d’un pas rapide.
En marchant il disait : « Nicolette, je viens
Dans cette forêt sombre et éloigné des miens
Braver les féroces bêtes qui la hantent
Car ce ne sont point ces fauves qui m’épouvantent
Mais vivre sans vous, ma mie, et sans vos beaux yeux
Dont je serai toujours l’adorateur pieux.
A mes feux, ma beauté, daignez donc apparaître
Pour que je revive et que je puisse renaître. »
Il allait, fouillant des yeux les buissons cachés,
Les habits à chaque pas qu’il fit arrachés
Par les ronces et les épines saillantes,
Mais en continuant ses recherches vaillantes.
Tout son corps en était déchiré ; en passant
L’on eût pu le suivre à la trace de son sang,
Mais il ne songeait, en ignorant ses blessures,
Qu’à se mie Nicolette, et sa marche était sûre.
Il passa sans succès ce qui restait du jour
A chercher dans les bois l’objet de ses amours ;
La nuit vint, il pleurait ses sombres infortunes,
Mais il marchait toujours, éclairé par la lune,
Et arriva enfin au logis construit
Par Nicolette, où il entra sans aucun bruit.
En voyant les fleurs dont la loge était ornée,
Fatigué des périls d’une rude journée,
Il s’y reposa et se dit que sûrement
Sa Nicolette était dans ce foyer charmant
Et que c’étaient ses mains blanches qui l’élevèrent,
Et ses yeux de la voir le bâtir rêvèrent.
Son transport était tel qu’il tomba de cheval
Et se démit l’épaule. De sa douleur rival,
Il l’attacha avec l’autre main à un arbre.
Il s’écria, entré dans la loge sombre :
« Belles fleurs, rameaux verts que ma mie a cueillis !
Ah ! si j’étais par elle en ces lieux accueilli !
Que de fois j’embrasserais tendrement sa bouche !
Je lui dirais des choses douces et farouches
Qu’avec bonheur de son amant elle ouïrait,
Et dans ces ténèbres mon cœur s’épanouirait. »
Nicolette était là, et la douce amante
Qui entendit la voix d’Aucassin charmante
Courut à lui les bras ouverts et l’embrassa
Tendrement, blanche biche que le chasseur chassa.
« Mon bel ami, lui dit-elle, Dieu nous prouve
Sa miséricorde, et grâce à lui je vous trouve ! « 
Il la serra à son tour dans ses bras aimants
Et l’embrassa avec transport. « Ma mie, vraiment,
S’écria-t-il, sans vous je me lassais de vivre,
Et du bonheur de vous revoir je m’enivre !
Grâce à vous et à Dieu, j’ai vaincu ma douleur. »
Nicolette de le voir changer de couleur
Etait effrayée. Quand elle en sut la cause,
De converser elle s’octroya une pause,
Lui tâta l’épaule et en place la remit,
Et la douce amante qui de son mal frémit
Y appliqua des fleurs et plantes salutaires
Qu’elle connaissait et firent sa douleur taire,
Et les assujettit ensuite avec savoir
Avec des pans de sa chemise, et laissa voir
A son ami ébloui, pareille à la grêle,
Des pans de sa blanche peau parfumée et frêle.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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