CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE Ii)
II. Ce que le comte Garins ordonna à son vicomte de
faire pour que son fils Aucassin ne songe plus à Nicolette
Le père redoubla de sollicitations
De douceurs, de menaces, de sages
incitations,
Et il fut secondé aussi par la comtesse.
Mais leur fils répondait toujours avec
tristesse
Que sa Nicolette avait ravi son cœur,
Qu’il est vaincu et que ses yeux sont
ses vainqueurs,
Et qu’il faut qu’il soit son époux pour
qu’il vive.
Garins voit que nul à le raisonner n’arrive
Et il va parler au vicomte son vassal
Pour se plaindre à lui de ce malheur
colossal
Et de cette obscure fille qui décourage
Aucassin son fils, et lui ordonne avec
rage
De l’exiler fort loin ou de la faire
mourir.
Son vicomte tremblant, afin de secourir
Son maître, promit de l’envoyer, fidèle,
A une terre où nul n’entendrait parler d’elle.
Mais il l’aimait comme un père et il ne
pouvait
Infliger un traitement noir qu’il
désapprouvait
A une innocente et frêle créature
Qui l’aimait et était d’une douce
nature.
Il la cacha à tous et même à ses valets
Dans une chambre tout au haut de son
palais
Eclairée par une petite fenêtre
A l’abri des yeux qui pouvaient la
reconnaître.
En y enfermant la pauvrette il eut grand
soin
De lui apporter tout dont elle avait
besoin
Et lui donner aussi comme surveillante
Une vieille dame fidèle et
bienveillante,
Vive malgré son front chenu et dos
brisé.
Nicolette avait de beaux cheveux blonds
frisés,
Les yeux bleus et riants, les dents
petites et blanches,
Son visage était doux, l’oiseau sur sa
branche
Etait moins frêle qu’elle, des yeux
charmant souvenir,
Et vos dos deux mains eussent suffi pour
contenir,
Si sa pudeur souffrait, sa taille
légère.
Le teint de cette aimable et charmante
bergère
Surpassait en fraicheur la rose du
matin,
Ses lèvres dessinées par l’amoureux
destin
Comme cerises au temps d’été étaient
vermeilles,
Et jamais yeux ne virent une beauté
pareille.
La pauvre Nicolette contemplait l’horizon
Et le jardin, dans sa ténébreuse prison,
Où chantaient les oiseaux qui doucement
bruissaient
Et où les fleurs aux bons parfums s’épanouissaient,
Et soupirait pour son Aucassin qu’elle
aimait :
« Me voilà enfermée loin de toi
pour jamais,
Aucassin, mon amour ! Mes soupirs t’accompagnent,
Au-dessus des mers, au-dessus des
montagnes,
Ils déploient leurs ailes, tu les
entendras toujours,
Et mon cœur pour toi est empli du même
amour. »
Dès qu’on ne vit plus dans Beaucaire la
belle,
On en chercha la cause ; les uns
dirent qu’elle
S’était enfuie, d’autres qu’on l’avait
fait tuer,
Et à songer on eut beau bien s’évertuer,
Nul ne comprenait ce ténébreux mystère.
Aucassin en fut le plus affligé sur
terre,
Et il alla parler au vicomte, disant :
« Je vois tout ici-bas d’un œil
méprisant,
Hormis Nicolette qui m’aime et que j’aime.
Elle n’est plus là. Par quel sombre
stratagème
Me l’avez-vous ôtée, vicomte, sans
remords ?
Hélas, prenez garde, si je trouve la
mort
Ce sera par votre faute que je la trouve
Et par la faute d’un père qui la
réprouve. »
Le vicomte tenta d’abord de l’assagir
Et d’un pareil amour de le faire rougir
En évoquant avec mépris cette fille
Esclave et inconnue, qui n’était point
gentille,
Et les princesses qui pouvaient
réconforter.
Mais lorsqu’il le vit se fâcher et s’emporter
Il avoua l’ordre donné par son père
Et dit à Aucassin : « Oubliez-la,
j’espère
Que vous épouserez une fille de roi.
Que le comte surtout, votre père, ô
effroi !
Soit convaincu que vous ne songez plus à
elle,
Ou contre moi et vous il emploiera son
zèle
Et se portera aux dernières extrémités,
Et son châtiment ne sera point imité. »
« Vous me désespérez », dit
Aucassin, sombre,
Ses yeux étaient emplis de tristesse et
d’ombre,
Semblables à la nuit où nul astre ne
reluit ;
Il partit, le vicomte tant affligé que
lui.
[A SUIVRE]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
|
La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
jeudi 28 mai 2015
Conte: Aucassin et Nicolette (Partie II)
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