jeudi 28 mai 2015

Conte: Aucassin et Nicolette (Partie II)

CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE Ii) 


II. Ce que le comte Garins ordonna à son vicomte de faire pour que son fils Aucassin ne songe plus à Nicolette

Le père redoubla de sollicitations
De douceurs, de menaces, de sages incitations,
Et il fut secondé aussi par la comtesse.
Mais leur fils répondait toujours avec tristesse
Que sa Nicolette avait ravi son cœur,
Qu’il est vaincu et que ses yeux sont ses vainqueurs,
Et qu’il faut qu’il soit son époux pour qu’il vive.
Garins voit que nul à le raisonner n’arrive
Et il va parler au vicomte son vassal
Pour se plaindre à lui de ce malheur colossal
Et de cette obscure fille qui décourage
Aucassin son fils, et lui ordonne avec rage
De l’exiler fort loin ou de la faire mourir.
Son vicomte tremblant, afin de secourir
Son maître, promit de l’envoyer, fidèle,
A une terre où nul n’entendrait parler d’elle.
Mais il l’aimait comme un père et il ne pouvait
Infliger un traitement noir qu’il désapprouvait
A une innocente et frêle créature
Qui l’aimait et était d’une douce nature.
Il la cacha à tous et même à ses valets
Dans une chambre tout au haut de son palais
Eclairée par une petite fenêtre
A l’abri des yeux qui pouvaient la reconnaître.
En y enfermant la pauvrette il eut grand soin
De lui apporter tout dont elle avait besoin
Et lui donner aussi comme surveillante
Une vieille dame fidèle et bienveillante,
Vive malgré son front chenu et dos brisé.
Nicolette avait de beaux cheveux blonds frisés,
Les yeux bleus et riants, les dents petites et blanches,
Son visage était doux, l’oiseau sur sa branche
Etait moins frêle qu’elle, des yeux charmant souvenir,
Et vos dos deux mains eussent suffi pour contenir,
Si sa pudeur souffrait, sa taille légère.
Le teint de cette aimable et charmante bergère
Surpassait en fraicheur la rose du matin,
Ses lèvres dessinées par l’amoureux destin
Comme cerises au temps d’été étaient vermeilles,
Et jamais yeux ne virent une beauté pareille.
La pauvre Nicolette contemplait l’horizon
Et le jardin, dans sa ténébreuse prison,
Où chantaient les oiseaux qui doucement bruissaient
Et où les fleurs aux bons parfums s’épanouissaient,
Et soupirait pour son Aucassin qu’elle aimait :
« Me voilà enfermée loin de toi pour jamais,
Aucassin, mon amour ! Mes soupirs t’accompagnent,
Au-dessus des mers, au-dessus des montagnes,
Ils déploient leurs ailes, tu les entendras toujours,
Et mon cœur pour toi est empli du même amour. »
Dès qu’on ne vit plus dans Beaucaire la belle,
On en chercha la cause ; les uns dirent qu’elle
S’était enfuie, d’autres qu’on l’avait fait tuer,
Et à songer on eut beau bien s’évertuer,
Nul ne comprenait ce ténébreux mystère.
Aucassin en fut le plus affligé sur terre,
Et il alla parler au vicomte, disant :
« Je vois tout ici-bas d’un œil méprisant,
Hormis Nicolette qui m’aime et que j’aime.
Elle n’est plus là. Par quel sombre stratagème
Me l’avez-vous ôtée, vicomte, sans remords ?
Hélas, prenez garde, si je trouve la mort
Ce sera par votre faute que je la trouve
Et par la faute d’un père qui la réprouve. »
Le vicomte tenta d’abord de l’assagir
Et d’un pareil amour de le faire rougir
En évoquant avec mépris cette fille
Esclave et inconnue, qui n’était point gentille,
Et les princesses qui pouvaient réconforter.
Mais lorsqu’il le vit se fâcher et s’emporter
Il avoua l’ordre donné par son père
Et dit à Aucassin : « Oubliez-la, j’espère
Que vous épouserez une fille de roi.
Que le comte surtout, votre père, ô effroi !
Soit convaincu que vous ne songez plus à elle,
Ou contre moi et vous il emploiera son zèle
Et se portera aux dernières extrémités,
Et son châtiment ne sera point imité. »
« Vous me désespérez », dit Aucassin, sombre,
Ses yeux étaient emplis de tristesse et d’ombre,
Semblables à la nuit où nul astre ne reluit ;
Il partit, le vicomte tant affligé que lui.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène 

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