CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE Iv)
IV. La fuite de Nicolette, et comment le hasard lui
permit de deviser avec son amant
Nicolette, comme son amant prisonnière,
Etait gardée d’une sinistre manière,
Et elle s’occupait à pleurer et gémir.
Une nuit où elle ne pouvait point dormir
En songeant tristement à ses infortunes,
Elle vit reluire au firmament la lune,
Comme un soleil étrange, et ouït dans le
jardin
Chanter le rossignol doucement bavardin.
On était dans cette saison langoureuse
Propice aux amoureux et aux amoureuses,
Où les nuits sont belles et où les jours
sont sereins.
Alors il lui souvint du comte au cœur d’airain
Qui la persécutait, et d’Aucassin qui l’aime
Et qui devait comme elle avoir le front
blême.
La vieille servante en ce moment
dormait.
Nicolette, qui de sa prison s’alarmait,
Pour s’en échapper crut l’occasion
favorable
Car elle ne pouvait être plus misérable ;
Elle mit son manteau de soie en se
levant
Sans bruit, et d’Aucassin amoureusement
rêvant,
Attacha ses deux draps au meneau des
fenêtres
Et se laissa couler et au sort se
soumettre.
La voilà au jardin. Après un court
repos,
En écrasant des roses noires auprès de
sa peau,
Secondée par la lune, elle trouva la
porte
Du jardin qu’elle ouvrit, d’effroi
presque morte.
Il fallait traverser la ville,
cependant,
Et Nicolette fut conduite en s’y
rendant,
Sans qu’elle le sût, à la tour où
soupire
Son ami Aucassin, comme un sombre
vampire,
Fendue par des crevasses en quelques
endroits.
Croyant entendre un homme se plaindre,
avec effroi
Elle approcha d’une brèche son oreille,
Et à celle de son Aucassin pareille
Entendit une voix triste qui s’envolait
Et qui gémissait pour elle et se
désolait,
Et elle reconnut son amour. Éplorée,
Elle lui dit : « Mon doux
cœur, de tous abhorrée,
Que puis-je faire, hélas, hormis me
lamenter ?
Cessez, cher Aucassin, d’ainsi vous
tourmenter !
Notre amour est maudit ; tout
contre nous s’assemble,
Adieu, nous ne pourrons jamais vivre
ensemble.
De vous perdre le cœur éternellement
amer,
Je vais pour me cacher de tous passer la
mer. »
Nicolette coupa une boucle blonde
De ses cheveux, qu’avec tristesse profonde
Elle jeta à son amant qu’il ramassa,
La cacha dans son sein et pieusement l’embrassa.
« Ah ! ma mie, s’écria-t-il,
ma douce, ma belle,
Non, ne me quittez point, ne soyez point
rebelle,
Ou vous allez bientôt me condamner à
mort. »
Une sentinelle ouït avecque remords
L’entretien, et plaignit ses deux amants
sombres
Et qui se lamentaient tristement dans l’ombre.
Elle aperçut tout à coup des soldats
venir
Qui faisaient leur ronde qu’ils
tardaient à finir,
Et trembla pour la belle d’être
découverte,
Arrêtée et punie d’une manière verte.
Elle chanta : « Fillette
qui vient ici errant,
Aux blonds cheveux, aux yeux riants et
au cœur franc,
Tu as vu ton amant ; il reluit, ton
visage,
Mais de partir d’ici tu serais bien sage
Car tu dois prendre garde à ces soldats
méchants
Qui ont, sous leurs capes, glaives nus
et tranchants. »
Nicolette comprit le péril redoutable
Et elle remercia l’homme charitable,
S’enveloppa dans son manteau, des
chevaliers
Allant pour se cacher à l’ombre d’un
pilier.
La ronde des soldats finie, à son maître
Elle dit adieu et marcha, voyant
paraître
Les murs de la ville et un fossé dangereux.
Rien n’effrayait maintenant son cœur
malheureux,
Elle fit un signe de croix, de périr
sûre,
Et s’y laissa couler. Malgré ses
blessures
Elle ne sentit point de mal. Mais il
fallait
Remonter et sortir. Par les gens du
palais,
Lancé sur leurs ennemis, à sa fuite
opportune,
Elle trouva un pieu laissé par la
fortune,
L’employa pour gravir la pente du talus
Et, après beaucoup de peine, trouva
salut
Et parvint jusqu’au haut malgré toutes
ses affres
Auxquelles ne songeait point son cœur
qui souffre.
[A SUIVRE]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
|
La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
samedi 30 mai 2015
Conte: Aucassin et Nicolette (Partie IV)
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