samedi 30 mai 2015

Conte: Aucassin et Nicolette (Partie IV)

CONTE: AUCASSIN ET NICOLETTE (PARTIE Iv) 


IV. La fuite de Nicolette, et comment le hasard lui permit de deviser avec son amant

Nicolette, comme son amant prisonnière,
Etait gardée d’une sinistre manière,
Et elle s’occupait à pleurer et gémir.
Une nuit où elle ne pouvait point dormir
En songeant tristement à ses infortunes,
Elle vit reluire au firmament la lune,
Comme un soleil étrange, et ouït dans le jardin
Chanter le rossignol doucement bavardin.
On était dans cette saison langoureuse
Propice aux amoureux et aux amoureuses,
Où les nuits sont belles et où les jours sont sereins.
Alors il lui souvint du comte au cœur d’airain
Qui la persécutait, et d’Aucassin qui l’aime
Et qui devait comme elle avoir le front blême.
La vieille servante en ce moment dormait.
Nicolette, qui de sa prison s’alarmait,
Pour s’en échapper crut l’occasion favorable
Car elle ne pouvait être plus misérable ;
Elle mit son manteau de soie en se levant
Sans bruit, et d’Aucassin amoureusement rêvant,
Attacha ses deux draps au meneau des fenêtres
Et se laissa couler et au sort se soumettre.
La voilà au jardin. Après un court repos,
En écrasant des roses noires auprès de sa peau,
Secondée par la lune, elle trouva la porte
Du jardin qu’elle ouvrit, d’effroi presque morte.
Il fallait traverser la ville, cependant,
Et Nicolette fut conduite en s’y rendant,
Sans qu’elle le sût, à la tour où soupire
Son ami Aucassin, comme un sombre vampire,
Fendue par des crevasses en quelques endroits.
Croyant entendre un homme se plaindre, avec effroi
Elle approcha d’une brèche son oreille,
Et à celle de son Aucassin pareille
Entendit une voix triste qui s’envolait
Et qui gémissait pour elle et se désolait,
Et elle reconnut son amour. Éplorée,
Elle lui dit : « Mon doux cœur, de tous abhorrée,
Que puis-je faire, hélas, hormis me lamenter ?
Cessez, cher Aucassin, d’ainsi vous tourmenter !
Notre amour est maudit ; tout contre nous s’assemble,
Adieu, nous ne pourrons jamais vivre ensemble.
De vous perdre le cœur éternellement amer,
Je vais pour me cacher de tous passer la mer. »
Nicolette coupa une boucle blonde
De ses cheveux, qu’avec tristesse profonde
Elle jeta à son amant qu’il ramassa,
La cacha dans son sein et pieusement l’embrassa.
« Ah ! ma mie, s’écria-t-il, ma douce, ma belle,
Non, ne me quittez point, ne soyez point rebelle,
Ou vous allez bientôt me condamner à mort. »
Une sentinelle ouït avecque remords
L’entretien, et plaignit ses deux amants sombres
Et qui se lamentaient tristement dans l’ombre.
Elle aperçut tout à coup des soldats venir
Qui faisaient leur ronde qu’ils tardaient à finir,
Et trembla pour la belle d’être découverte,
Arrêtée et punie d’une manière verte.
Elle chanta : « Fillette qui vient ici errant,
Aux blonds cheveux, aux yeux riants et au cœur franc,
Tu as vu ton amant ; il reluit, ton visage,
Mais de partir d’ici tu serais bien sage
Car tu dois prendre garde à ces soldats méchants
Qui ont, sous leurs capes, glaives nus et tranchants. »
Nicolette comprit le péril redoutable
Et elle remercia l’homme charitable,
S’enveloppa dans son manteau, des chevaliers
Allant pour se cacher à l’ombre d’un pilier.
La ronde des soldats finie, à son maître
Elle dit adieu et marcha, voyant paraître
Les murs de la ville et un fossé dangereux.
Rien n’effrayait maintenant son cœur malheureux,
Elle fit un signe de croix, de périr sûre,
Et s’y laissa couler. Malgré ses blessures
Elle ne sentit point de mal. Mais il fallait
Remonter et sortir. Par les gens du palais,
Lancé sur leurs ennemis, à sa fuite opportune,
Elle trouva un pieu laissé par la fortune,
L’employa pour gravir la pente du talus
Et, après beaucoup de peine, trouva salut
Et parvint jusqu’au haut malgré toutes ses affres
Auxquelles ne songeait point son cœur qui souffre.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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