samedi 22 août 2015

Conte: Saute en mon sac! (Partie VI)

CONTE: SAUTE EN MON SAC! (PARTIE Vi)


VI. De quelle manière Francesco vint en aide aux gens du Niolo, et ce qu’il fit à la Mort

Après des jours de marche et de peu de répit,
Francesco, arrivé chez lui, avec dépit
Vit que la famine rongeait tout le monde
En montrant ses griffes sanglantes et immondes.
Pour aider les pauvres gens, maigres et accablés,
Et que tous vinssent sans rien payer s’attabler,
Francesco établit une grande auberge
Qui nourrit les hères et qui les héberge,
Dont les mets et les vins étaient fort délicieux,
Où il fit travailler, belles comme les cieux,
Pour régaler ses gens, des fées pour grisettes.
Cela dura aussi longtemps que la disette.
Quand la famine prit fin, Francesco ferma
Bientôt son auberge, car ce qui l’alarma
Etait d’encourager la sombre paresse.
Francesco, toutefois, vivait dans la détresse
De ne plus revoir ses frères trépassés ;
Il avait dit onze fois, bien triste et lassé :
« Giovanni, saute dans mon sac, mon pauvre frère !
Paolo, saute dans mon sac !... » A ces téméraires
Il avait pardonné ce qu’ils firent bassement,
Mais il trouvait dans son sac de vieux ossements,
Preuve que ses frères étaient morts sans doute
Et qu’ils n’avaient jamais poursuivi leur route.
Son vieux père mourut, de bons soins entouré,
Et lui-même devint vieux, le front labouré
Par les rides, la tête et la barbe blanches.
Avant de mourir il voulut, un dimanche,
Revoir la bonne fée qui séjournait au lac
Et lui avait donné son bâton et son sac.
Il marcha, les pas lourds et le visage blême,
Et arriva en deux jours à l’endroit même
Où il vit la reine des fées, qu’il supplia
De se montrer, et que jamais il n’oublia.
Mais, hélas ! toutes ses prières furent vaines,
Et il ne revit plus la fée inhumaine
Qu’à revoir il était toujours déterminé.
Le temps qui lui restait à vivre terminé
Et périr étant le sort de tous les hommes,
La Mort passa, celle qu’en frémissant on nomme,
Qu’on n’ose braver et qu’on attend amèrement,
Dans l’une de ses mains hasardeuses fièrement
Tenant un drapeau noir, et une faux tranchante.
Arrivée près de lui, la sinistre marchante
Lui dit : « Eh bien ! vieillard, il est temps de mourir.
N’es-tu point las de vivre et d’ainsi parcourir
Les superbes montagnes et les vastes vallées ?
Dans mille endroits divers ta voile est allée,
Mais la vie est une mer dont je suis le port. »
Et le vieux Francesco dit : « Attends un peu, Mort !
Oui, j’ai vécu longtemps, auguste nochère,
Mais pour dire adieu à une personne chère
Accorde-moi un jour à vivre seulement. »
« Vieillard, à me prier ainsi inutilement
Tu te fatigues en vain. Tu mourras tout de suite
Car ton heure est venue et j’en suis instruite. »
« Une demi-journée, ô Mort ! Je ne fuirai point. »
« Non, jamais. » « Accorde-moi donc une heure, au moins ! »
« Pas un seul instant. » « A tous mes vœux rebelle,
Saute maintenant dans mon sac, Mort cruelle ! »
La Mort brandit sa faux, se courrouça, gémit,
Mais elle fut forcée d’obéir, et gémit,
Du sac de Francesco devenue prisonnière
Et ne pouvant l’achever à son heure dernière.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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