mardi 21 avril 2015

Conte: Le Vilain devenu Médecin (Partie IV)

CONTE: LE VILAIN DEVENU MÉDECIN (PARTIE Iv)


IV. Les prouesses du vilain, qui réussit à guérir la princesse et quatre-vingts autres malades

La princesse vint, pâle et la bouche ouverte,
Et, sa douleur l’ayant rendu indiserte,
Montrant au vilain le siège de la douleur.
En voyant la beauté qui perdit ses couleurs
Et dont le visage perdit sa blancheur pure,
Il songeait comment opérer cette cure,
Car il voyait qu’il ne pouvait plus reculer
Ou pour qu’il se tirât d’affaire fabuler,
Et périr sous les coups ne le réjouissait guère.
« Le mal est dû à cette artère qui naguère,
Se disait-il, resta dans son royal gosier.
Si j’arrive à la faire rire et à l’extasier,
Peut-être l’artère maudite sortirait-elle
Et j’éviterais une punition mortelle. »
Le vilain demanda au roi qu’on allumât
Un grand feu dans la salle, et qu’on se résumât
A le laisser seul un moment et la patiente.
Tous se retirèrent. Presque inconsciente
A force de souffrir, le vilain fit asseoir
La princesse. De ses ongles crochus et noirs
Il se gratte avec des grimaces plaisantes
Et s’étrille la peau. La chose est amusante
Au point que la princesse, malgré sa douleur, part
D’un grand éclat de rire, et que de son rempart
L’artère sort et lui vole hors de la bouche.
Il la ramasse et vole aussi comme une mouche
Au roi à qui il dit : « La voici, majesté ! »
« Peu de temps vous êtes avec elle resté,
Mais vous l’avez guérie ! Vous me rendez la vie !
S’écria le monarque, car, ma fille ravie,
J’aurais perdu ce que j’avais de plus précieux.
Ah ! bénie soit ta science et bénis soient les cieux !
Je te donnerai des habits et des robes. »
Le vilain remercie, et pour qu’il se dérobe
Prétend avoir fort à faire et être pressé.
Le roi lui dit alors, par sa cour caressé,
De devenir son ami et son médecin fidèle.
« Ma bonne femme attend. Ayez pitié d’elle.
Je ne mérite point de tels honneurs, seigneur. »
A cette réponse l’on rossa le soigneur.
Convaincu par les coups : « Ah ! je vous l’accorde !
Cria-t-il. Majesté, faites miséricorde. »
Et il promit au roi de rester non seulement
Un jour, mais s’il le lui commande, éternellement.
On le régala, tout d’abord, aux cuisines,
Puis il fut conduit dans une chambre voisine,
Tondu et rasé, et prestement revêtu
D’une belle robe d’écarlate. Têtu,
Il pensait qu’il pourrait un jour prendre la belle
Et aux souhaits du roi était toujours rebelle.
Sa guérison avait fait cependant du bruit,
Et malgré lui il lui fallait cueillir ses fruits ;
Quatre-vingts malades de la ville arrivèrent
Au château du roi, qui d’être guéris rêvèrent
Et voulaient consulter le médecin prodigieux
Dont on parlait avec des propos élogieux.
Le roi le fit appeler et lui dit : « Maître,
De guérir ces gens-là vous devez me promettre. »
« Sire, répondit le vilain avec émoi,
Je ne le puis, sauf si Dieu s’en charge avec moi. »
Il fit alors venir les sergents à sa chambre,
Et le malheureux, qui tremblait de tous ses membres,
Promit de ne laisser nul malade partir.
Il pria donc le roi et sa cour de sortir,
Fit un feu d’enfer, et dit aux malades :
« Soigner autant de monde n’est point rigolade,
Je ne sais qu’un moyen afin de vous guérir :
Il faudra que l’un de vous consente à périr
Dans ce docte feu que vous voyez allumé.
Les autres avaleront les cendres du consumé
Et ils seront guéris. La chose est violente,
J’en conviens, mais elle ne sera point lente ;
Que le plus malade vienne ici sans tarder. »
Mais nul ne voulut à venir se hasarder
Et à dire que sa maladie était grave.
Le guérisseur dit à l’un d’eux : « Tu m’as l’air brave
Et tu me sembles aussi pâle comme la mort. »
« Je suis lâche, seigneur, et je fuis sans remords. »
Répondit le hère qui, comme les autres,
Se sauva promptement. Le roi les vit paraître,
Et ils lui disaient tous, du feu épouvanté,
Qu’ils étaient bien guéris et en bonne santé.
Enchanté, il rentra dans la vaste salle,
Et étonné de cette guérison colossale
Il demanda à son médecin comment il fit.
Le vilain qui souriait joyeusement lui dit
Qu’il possédait un charme aux vertus sans pareilles.
De remerciements le roi flatta ses oreilles,
Le combla de présents, le laissa retourner
Auprès de sa femme, bien las de séjourner
Contre son gré et loin des champs, dans sa demeure.
Il lui fit promettre de revenir à l’heure
Où il aurait besoin de lui, et le manant
Cessa de labourer, et, prodige étonnant,
De battre sa femme quand il devint prospère,
Qui l’aima et qui fit habiter son père
Avec eux, tous les jours enchanté de la voir,
Et rendit son mari médecin sans le savoir.

[FIN DU CONTE: LE VILAIN DEVENU MÉDECIN]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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