mardi 31 décembre 2013

Conte: les trois rameaux verts

conte:les trois rameaux verts


Il était une fois un ermite solitaire
Et qui vivait loin des habitants de la terre
Au pied d’une montagne, dans une sombre forêt.
A quelques lieues de sa retraite, il errait
Chaque jour, en disant doucement des prières,
Et chaque soir de l’eau pure des rivières
Il remplissait deux sceaux pour sa vieillesse pesants
Et s’en allait au pied du mont, en arrosant
Les plantes, en abreuvant les animaux pâles
Et assoiffés, dont nul n’entendait les râles,
Trouvant à peine, dans ce désert égarés,
Leur nourriture et de quoi se désaltérer.
Pour le récompenser, quand sa douce corvée
Après une heure d’errance était enfin achevée,
Un ange apparaissait à notre ermite pieux
Lui donnant à manger, comme ce prophète de Dieu
Nourri par les corbeaux, Elie le Thesbite.

Alors qu’il errait, un jour, notre ermite
Apercevant de loin un malheureux pécheur
Qu’on conduisait à la potence, dit, railleur :
« En voilà un qui a eu son juste salaire. »
Sans qu’il le sût, ces mots mirent Dieu en colère.
Au pied de la montagne, cette fois, il ne put voir
L’ange lui apportant son souper chaque soir.
Il en fut effrayé et chercha quelle offense
L’avait privé de sa divine récompense
En courrouçant ainsi contre lui le Seigneur.
Il se jeta par terre et, plein de frayeur,
Resta en prière jour et nuit, sans nourriture.
Une fois il entendit, doux comme un murmure,
Le chant d’un oiseau qui était si merveilleux
Que l’ermite lui dit : « Tu te portes bien mieux
Que moi, petit oiseau, puisque, gai, tu chantes
Alors qu’un mystérieux péché m’épouvante !
Hélas ! Pourquoi Dieu est contre moi courroucé ?
Si tu pouvais me dire ce qui l’a offensé,
Pour plaire au Tout-Puissant je ferais pénitence. »
« Ce pauvre pécheur qu’on menait à la potence
Et que tu as raillé, ermite, cruellement,
Courrouce Dieu. A lui seul appartient le jugement,
Il attend que de ton péché tu te repentes ;
Fais pénitence pour que le Très-Haut consente
A te pardonner. » Dit l’oiseau, et dans la nuit
Il s’envola. L’ermite vit alors devant lui
L’ange, un bâton de bois sec à la main. « Porte
Ce bâton de bois sec jusqu’à ce que trois pousses vertes
En soient sorties. La nuit, quand tu viendras dormir,
Mets-le sous ta tête. Tu iras, sans frémir
D’obéir au Seigneur, mendier ton pain aux portes,
Ne passant qu’une nuit sous le même toit. De la sorte
Ton péché te sera peut-être pardonné. »
Dit l’ange radieux qui, cessant de rayonner,
S’envola promptement dans les nuées profondes.
L’ermite prit le bâton et revint au monde
Que depuis si longtemps il avait oublié.
Il errait courbé, par son péché humilié,
Vivant des aumônes des âmes charitables.
Le pauvre homme, trouvant son sort équitable,
Remerciait le Seigneur, errant comme les bergers
De porte en porte. Un soir, nul ne daignant l’héberger
Pour la nuit, âme de toutes les âmes méprisée,
Il trouva dans un bois une maison creusée
Dans le roc, et y vit une vieille femme au front doux.
« Bonne femme, recevez-moi cette nuit chez vous
Lui dit-il, et ayez pitié d’un pauvre hère. »
« Je ne le puis, hélas ! Non inhospitalière,
Mais parce que j’ai pour fils trois féroces brigands
Fiers et insensibles, violents comme l’ouragan,
Et ils vont revenir bientôt de leur tournée.
S’ils vous trouvent ici, sans songer toute la journée,
Ils vous tueront avec sang-froid. Revenez demain
Et je vous ferai l’aumône. Mais rebroussez chemin. »
Dit la vieille femme, presque suppliante.
Émue enfin par ses prières, bienveillante,
Elle eut pitié de lui et se laissa toucher.
Le pauvre ermite alla aussitôt se coucher
Sous l’escalier, avec son bâton sous la tête.
Surprise de le voir en si étrange assiette,
Elle lui demanda pourquoi se mettre ainsi,
Et l’ermite de ses maux lui fit le récit.
La bonne femme s’écria : « Hélas ! Mes fils volent
Et tuent. Si Dieu punit ainsi une vaine parole,
Que vont-ils devenir le jour du jugement ? »
Et cette vieille mère sanglotait tristement,
Disant une prière au milieu de ses larmes.

A minuit, les brigands rentrèrent en vacarme
Et allumèrent un grand feu. Caché dans le noir,
Ce feu qu’ils allumèrent leur fit apercevoir
L’ermite couché sous l’escalier. Ils entrèrent
Dans une grande fureur, criant à leur mère :
« Qui est cet étranger ? Nous t’avons interdit
De recevoir jamais personne. Ce maudit
Va bientôt périr. » Et l’aîné dit : « C’est chose faite ! »
« Cet homme que vous voyez se repent de ses fautes,
Dit la mère. Je vous prie de ne point le tuer. »
« Ô, mère, mon épée désire le saluer !
Comment lui prohiber de faire sa connaissance ? »
Reprit en ricanant l’aîné. Mais par décence
Et puisque je ne suis pas encore fâché,
Je veux bien que ce hère nous conte ses péchés. »
Et l’un d’eux s’écria : « Conte, vieillard ! Conte ! »
L’ermite leur raconta avec beaucoup de honte
Son histoire. Ils en furent emplis de compassion
Et commencèrent avec une sincère contrition
A faire pénitence – Ô, revirement sublime ! –
Comparant, horrifiés, son péché à leurs crimes.

L’ermite, après avoir converti ces pécheurs,
Se remit à dormir sous l’escalier sans peur.
Le lendemain, on le trouva mort. Un sourire
Sur son visage semblait doucement reluire,
Le bâton de bois sec dont il faisait, amer,
Son oreiller, avait poussé trois rameaux verts.
Ainsi, âme qui semblait à errer condamnée,
Ses fautes lui furent par le Seigneur pardonnées.


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Mon avis sur cet article: