mardi 7 août 2012

Les songes de saint Patrice (sixième partie)

LES SONGES DE SAINT PATRICE (sixième PARTIE)



VI

Le roi courroucé s’écria : « Qu’on me l’amène,
Ce démon qui a une figure humaine !
Ce sombre apôtre de la nuit et du malheur,
Cet ennemi de mon royaume, comme les voleurs
Sera pendu, ou bien brûlé comme les sorcières !
Mon fils s’appelle Uther et Niall est mon père,
Ce pays à notre noble sang est soumis,
Et un esclave ose être mon ennemi
Et me braver ? Qu’il vienne ! » Rose comme une vierge,
Patrice parut. A la main il avait un cierge
Et de ses disciples fidèles et bien-aimés
Qui portaient en marchant des flambeaux allumés
Etait suivi, comme l’onde par l’onde est suivie.
Au roi il dit : « Je vous contemple sans envie,
Vos menaces ne m’effraient pas, vous n’êtes qu’un mortel.
Un relent se répand de votre noir autel :
Le relent de la haine et de l’idolâtrie !
Quant à nous, chrétiens, nos cœurs et nos bouches prient
Le vrai et seul dieu. En cette nuit où Jésus-Christ
Qui fut ressuscité après avoir péri
Rayonna sur Terre et dans le ciel, son empire,
Nous portons, prosternés, des torches de cire
Qui sont parfumées comme la fleur de Jessé ;
Des sueurs du pin, des pleurs du cèdre versés,
Ces torches qui reluisent pour notre prophète
Ne s’enivrent point. Du suc des fleurs elles sont faites
Et sont pleines de mystère et de virginité.
Avec notre Seigneur de joie ressuscités,
Les hommes se souviendront de notre passage,
Ces flambeaux éphémères et doux sont les présages
Du soleil éternel qui reluira pour nous,
Le dieu tout-puissant que nous prions à genoux
Nous voit et nous entend car nous sommes ses prêtres. »
Laégaïr troublé demanda à l’apôtre :
« Ô, toi, spectre errant, mystérieux inconnu,
Dis, dans mon royaume pourquoi es-tu venu ?
Désires-tu des richesses ? Veux-tu une ville ? »
« Je viens seulement pour prêcher l’Évangile
Et ses divines promesses, et à Dieu j’obéis,
Répondit le saint. Je viens d’un sombre pays
Où j’ai été esclave. Ce n’est point la haine
Mais c’est l’amour qui me conduit. De mes chaînes
Grâce à Dieu et à son fils, je suis libéré ;
Je libérerai cette nation qui a erré
Trop longtemps dans l’ombre qui lui semble éternelle
Du joug de ses rois et déités criminelles,
Mon âme est pure, mon cœur est sans inimitié. »
Des chefs qui étaient là la juste moitié
Prit parti pour Patrice. Mais le roi en colère
Le jeta en prison puis, sombre et sévère,
Cria : « Sur ce bûcher par sa bouche blasphémé
Cet homme sera demain, à cette heure, consumé. »

L’heure terrible vint. Dans les lieux de culte,
Le bûcher semblait dire à Dieu des insultes,
Ouvrait sa gueule obscure, farouche et rayonnant.
Saint Patrice était calme, marchait en pardonnant
A ses ennemis, aux lèvres un sourire ineffable,
Et au Christ avant sa mort était semblable.
Le roi Laégaïr riait comme un vautour
Et disait : « Que ton dieu vienne à ton secours !
N’est-il pas tout-puissant ? Qu’est-ce qui l’empêche
D’éteindre le feu qui embrase ces branches sèches ?
C’est la mort qui t’attend, esclave. Tu vas périr
Mais avant, cette flamme te fera bien souffrir ! »
Saint Patrice ne montrait aucune faiblesse
Et souriait. Soudain, la celtique prophétesse
Qui s’appelait Brigitte, fille d’un druide vénéré,
S’écria : « Vous serez maudits, déshonorés
Et châtiés par le ciel, si vous brûlez cet homme !
Et toi, Laégaïr, tu perdras ton royaume !
Le noir firmament pour moi n’a aucun secret,
C’est lui qui vous l’envoie. Alors soyez prêts
A me brûler avec lui, si vous êtes impies
Au point de braver le ciel qui vous épie !
Je connais l’herbe de joie qui unit les cœurs,
Je connais la fleur d’or dont la divine liqueur
Dévoile l’avenir, guérit et soulage,
Et les charmes de la verveine et du sélage,
Mais cet homme possède,  grâce à la fatalité,
La fleur mystérieuse de l’immortalité.
J’ai vu son dieu et son ange aux ailes déployées,
Je les ai vus et j’en ai été foudroyée !
Le seul et le vrai dieu, c’est son dieu crucifié,
Je crois en lui et en vain vous l’avez défié,
Par vos actions cherchez plutôt à lui plaire. »
Le roi et les druides effrayés reculèrent
Car ils entendirent la voix du Destin,
Et le feu qu’ils avaient allumé fut éteint.

[A SUIVRE]



Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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