lundi 6 août 2012

Les songes de saint Patrice (cinquième partie)


LES SONGES DE SAINT PATRICE (cinquième PARTIE)


V

En trente ans, saint Patrice convertit l’Irlande,
Son nom et le nom de Dieu emplirent les landes
Comme des chants éternels, de rayons et d’amour.
Dans les sombres monts on voyait reluire le jour
De la vraie foi, immense, infinie et pure,
Qui éclairait le cœur de toutes les créatures.
Par ses douces paroles et sa persuasion
Quand il décrivait au peuple ses visions,
Sans que le sang coulât, sans martyrs et sans armes,
L’esclave de jadis faisait choir ses larmes
Et disait : « Je viens d’un abîme plus noir
Que celui où vous êtes. Sans entendre et sans voir,
J’errais, pécheur maudit. J’étais sourd et aveugle,
Et l’âne qui brait et le taureau qui beugle
Etaient, mes frères, mille fois plus sages que moi.
J’étais perdu, l’enfer et ses horribles émois
M’attendaient, je n’avais point de cœur et point d’âme,
Et de la géhenne on voyait reluire la flamme
Dans mes yeux courroucés, pleins de perversité.
Mais il fallut que je connusse l’adversité,
La pesanteur des chaînes, la rigueur des paillasses
Et la servitude, pour que je me réveillasse
De ma torpeur maudite. Dieu m’est apparu,
Il m’a souri doucement et il m’a secouru,
Sa lumière est le havre et sa parole l’asile
Et tout est plein de son rayon indélébile,
Il est dans les hommes, les bêtes et les objets,
Et les rois qui règnent ne sont que ses sujets,
Nulle clémence n’est égale à sa clémence,
Il créa l’homme petit et l’univers immense ;
Courbez-vous devant lui, comme tout est courbé ! »
Maintes fois le saint, de lumière et d’or nimbé,
Traversa, victorieux, les forêts druidiques,
Les houx épineux et les chênes pudiques
Etaient ployés devant lui et étaient tremblants ;
Monté sur un char que mouvaient deux buffles blancs,
Il voyageait chaque jour pour prêcher les foules
Qui comme les ondes qu’emporte la houle
Et qui cherchent un rivage serein et bienheureux,
Venaient l’écouter. Ses disciples étaient nombreux
Tels les grains de poussière et les grains de sable,
Les maîtres et leurs esclaves, les riches, les misérables,
Les brigands et les chefs, les femmes et les enfants,
Accouraient pour entendre saint Patrice triomphant
Et pour voir ce soleil qui en Irlande brille.

Un jour, l’apôtre vit les deux charmantes filles
Radieuses comme le printemps, du roi Laégaïr,
Maître de l’Irlande que nul n’ose assaillir,
Qui lavaient leurs robes de noce au bord d’une fontaine.
Ces âmes, qui n’étaient point noires et point hautaines,
Furent émues par les paroles de cet homme doux
Et qui assena au druidisme un premier coup.
Le père royal de ces deux repenties
Avait un grand palais, vaste demeure bâtie
Dans l’illustre plaine qu’on appelait Tara
Et de mille présents le destin l’honora
Car il avait l’Irlande à ses lois soumise
Et son épée que nul bouclier ne brise
Tomba souvent sur ses ennemis. Ce roi glorieux
Adorait les dieux farouches de ses aïeux :
Lug, le Père suprême, Ogme, guerrier et mage,
Étain, la divine Mère, et Dagda le Sage.
Tous les trois ans, sur la terrasse de son palais,
Quand venait l’équinoxe du printemps, on allait
Construire un grand bûcher que les fleurs parfument
Et qui en l’honneur de dieux rayonne et fume.
Le roi Laégaïr et cinq autres rois vassaux
Autour de ce bûcher sacré, divin berceau
De l’Irlande pieuse et de l’année celtique,
Se réunissaient en chantant des chants antiques
Qui glorifiaient les dieux, en neuf cercles assemblés,
Les bardes, les juges et les druides attablés,
Ainsi que tous les chefs sur leurs chars de guerre
Qui mangeaient et buvaient en disant des prières.

La fête finissait. Les convives ravis
Allaient partir. Soudain, le roi Laégaïr vit
Sur le champ qui était des esclaves le cimetière
Briller une petite et blanche lumière,
Et le roi étonné en même temps qu’irrité
Leva fièrement la tête et à ses invités
Demanda : « Par tous les dieux du ciel ! Que vois-je ?
Qu’est-ce que cette lumière blanche et sacrilège ? »
Un druide, qui s’appelait Dubtak, lui répondit :
« C’est celle de l’homme fatal, de l’homme maudit
Qui dit à l’Irlande qu’elle sera sauvée
Et dont nous vous avons, sire, prédit l’arrivée.
Qu’il ne vienne point ici, ou il nous dominera
Et avec ses noires paroles nous chagrinera !
Exilez-le loin de nos paisibles contrées
Ou il empoisonnera notre terre adorée,
Et défiez-vous de lui, car il séduit et mord
Et, s’il le pouvait, nous tuerait sans remords. »

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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