vendredi 15 juin 2012

La mort de Jupiter


La mort de Jupiter


Au sommet de l’Olympe, mont aux rayons bénis,
Jupiter, Junon et Mars s’étaient réunis,
Tandis qu’au-dessus d’eux montait une fumée noire,
Ils devisaient. Hébé leur apporta à boire.
Jupiter mit son foudre à côté de lui
Et levant son verre plein du nectar qui reluit,
Dit aux deux dieux assis sur le même nuage :
« Mars, mon frère, Junon, ma sœur. Les humains volages
Nous oublient et brûlent sans peur nos temples déserts.
Les poètes impies ne nous chantent plus des vers
Et au lieu de trembler, rient quand ils entendent
Nos noms terrifiants ! De leurs douces offrandes
En nous dédaignant, les insignifiants mortels
N’appesantissent plus nos somptueux autels,
Ils adorent un dieu sans nom et invisible
Qu’ils craignent sans le voir et qu’ils disent terrible
Et tout-puissant. Ils ploient devant notre rival
Leurs genoux, en tremblant de son courroux fatal
Et en lui disant, dans l’ombre et dans la lumière,
Pour qu’il leur pardonne leurs péchés, nos prières !
Ils assassinent nos fidèles adorateurs
Etouffés par l’encens, victimes de leur fureur !
Nos frères ont péri et nos sœurs sont mortes !
Je vois leurs dépouilles que la mer emporte,
Que dévore la terre et que consume le soleil,
L’univers est empli de leurs lambeaux vermeils
Et des sombres morceaux de leurs statues brisées.
Je suis le dieu des dieux et des hommes la risée,
Moi, Jupiter, divin maître du firmament !
Que devons-nous faire ? » Mars songea un moment
En regardant la lame de son épée énorme
Et répondit : « Les hommes périront par leurs armes.
Dans les champs de bataille, les frères s’occiront
Et le sang lavera leur indicible affront !
Le père tuera le fils, le fils tuera le père
Et les filles dans leurs lits assassineront les mères
Puis dans leurs cœurs remplis de honte et de remords
Plongeront leurs dagues et se donneront la mort.
Par le loup et par le vautour ! Leurs cris sombres,
Quand l’univers sera plein de sang et d’ombre
Au lieu de leurs prières, monteront jusqu’à nous
Et berceront notre invincible courroux ! 
Quant à ce dieu terrible, aux sangliers sauvages,
Aux hyènes et aux lions qui le déchirent avec rage,
Je donnerai chaque jour un morceau de lui. »

Junon caressa son paon docile, puis
Dit à ses deux frères : « Ces hommes misérables
Ne méritent que la mort. Les mères coupables
Seront pareilles à des arbres aux fruits pourris,
Dans leurs ventres je tuerai leurs enfants amaigris
Par la faim, et leurs seins, devenus soudain vides,
A leurs enfants qui naissent seront homicides,
Car je pense aussi à les emplir de poison.
Leurs maris, leur cherchant querelle sans raison,
Fous de jalousie, les croiront infidèles,
Les tueront et tueront leurs amants avec zèle
Puis, lucides à nouveau, périront de dépit
En voyant leurs dépouilles et pleurant sans répit ! »

Jupiter sourit et dit : « C’est bien. Ils doivent
Tous périr, et leur sang rougira les fleuves,
Les ondes des ruisseaux et les flots de la mer.
En flamme je vais bientôt transformer l’univers,
Mon foudre que voici sur ces téméraires
Va tomber, et de vos supplices sanguinaires,
Pour ne point vous priver de la joie d’écouter
Leurs râles, ils gémiront dans l’ombre, épouvantés ! »
Et changeant en actions ses cruelles paroles,
Le roi des dieux prit son foudre qui immole
Tout ce qu’il touche, et reluisant dans sa main,
S’apprêta à le faire tomber sur les humains.

Soudain une voix lugubre et farouche
Sortit du néant qui semblait ouvrir la bouche
Et dans l’immensité vaste hurla : « Jupiter ! »
Pareil au soleil qui se lève dans l’éther,
Un robuste vieillard, tout blanc et sublime,
Apparut. Il avait l’air doux et magnanime
Quand on regardait les ténèbres de ses yeux.
A ses côtés deux hommes ailés et radieux
Se tenaient debout et armés de leurs épées.
Les trois dieux frémirent. Nul chant, nulle épopée
Ne louaient les travaux de ces fiers inconnus.
Dans la main royale le foudre était devenu
Cendre, et Jupiter qui le tenait resta pâle.
Sans bouger, sans dire la moindre parole,
Le vieillard terrible et qui n’avait point de nom
Tua avec une pensée Mars et Junon
Et dit à Jupiter : «Les hommes et le monde
M’appartiennent. Dans la mer je fais rugir l’onde,
C’est moi qui fais surgir les épis des sillons,
Qui emplis la nuit d’ombre et le jour de rayons
Et mets l’enfant dans le sein de la mère ravie.
Je donne la mort et je donne aussi la vie.
Jupiter, je suis Dieu. Ces êtres que tu vois
Sont mes fidèles soldats et n’obéissent qu’à moi.
Je les ai créés de feu et les hommes de fange
Et j’ai moi-même appelé ces vaillants archanges
Michel et Gabriel. Sache qu’ils sont plus puissants
Que toi et tous tes frères réunis. Innocents,
Ils ne font point le mal et ils obéissent.
Obéis toi aussi pour que je te bénisse,
Sois mon prophète, si tu veux être sauvé. »
Jupiter ricana et dit : « Tu as rêvé !
Je t’occirai et je ressusciterai mes frères,
Et je te châtierai, vieillard, comme mon père ! »

L’univers tout entier entendit un grondement
Quand Jupiter tomba du radieux firmament
Cadavre foudroyé et accablé de chaînes
Comme une feuille tombe en hiver d’un grand chêne. 



 Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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