jeudi 14 juin 2012

La fleur de la dame


La fleur de la dame


Courbé sur son cheval comme l’ombre sur l’ombre,
Il erre, éperdu, dans les ténèbres sombres.
Foudre tombée des cieux et que charrie le vent,
Il contemple parfois quelque chose en rêvant
Et qu’aux yeux de la nuit il cache avec zèle,
Tantôt sous son heaume, tantôt sous sa rondelle.
Qu’est-ce donc ? Une relique ou un doux billet ?
On ne sait. Sur son noir destrier ployé,
Ce chevalier poursuit sa route éternelle,
Et comme si quelqu’un dans l’ombre l’appelle
Il ne s’arrête point, roide comme la Vertu,
Sur sa bête fatiguée, car ils ont combattu
Il y a à peine un jour, maints ennemis ensemble,
Et maints guerriers vaincus de leurs travaux tremblent ;
Ce fantôme rêveur a tué tant de héros
Qu’il peine à tirer son épée de son fourreau,
Deuxième Excalibur par le sang obstruée.
Ils courent, blessés tous les deux, sous les nuées,
L’un a le gorgerin rouge, l’autre le pas lourd,
Mais le cheval comme son cavalier est sourd ;
Ô, de la guerre noires et sinistres affres,
Quand la blessure se repose sur la balafre !
Qui est ce chevalier ? Comment s’appelle-t-il ?
Le brave Perceval ou Roland le subtil ?
Ô, avide lecteur, tes questions m’embarrassent !
Quel nom peut-on donner à la foudre qui passe
Et à l’éclair qui dans le firmament reluit ?
Si tu trouves ce nom, sache que ce nom c’est lui.

Dans le ciel se lève la rêveuse aurore.
Le chevalier errant n’a point dormi encore,
Mais il erre toujours, tel un zéphyr d’airain,
Las, sans se reposer, terrifiant et serein.
Un village apparaît, rustique demeure
De paysans qui, à cette laborieuse heure,
Se réveillent, quittent leurs lits et s’en vont aux champs.
Ce guerrier descend de sa monture en cherchant
On ne sait quel ennemi, certainement téméraire
Pour ne pas se cacher à sa juste colère.
Sa main caresse la crinière de son cheval
Tandis que les yeux de cet aigle triomphal
Cherchent sans répit, sous le ciel qui rayonne,
Un spectre peut-être, peut-être une gorgone.

Soudain il voit venir, radieuse comme le printemps,
Une douce paysanne au sourire content
Et dont la chevelure est noire comme la nuit
Qu’il a passée à la chercher. Tremblante, elle fuit
Ce fantôme de fer qui s’avance vers elle,
Et tout à coup s’arrête, levant ses mains frêles
Au ciel, et implorant  ce farouche combattant :
« Au nom  de Dieu qui nous voit et nous entend
Épargnez-moi, Seigneur ! Je suis orpheline,
Voyez cette fumée derrière la colline,
Ma chaumière, que vous ne voyez point, est là-bas.
Venez souper et vous reposer du combat
Mais ne me tuez pas, je vous en conjure !
Ma mère m’a appris à panser les blessures,
Prenez mon lit si vous voulez vous endormir
Mais dormez-y seul ! Je vous braverai sans frémir
Si vous osez croire que je suis votre femme ! »

Sans mot dire, le preux chevalier ôte son heaume,
Et montrant à cette femme une rose sans odeur
Lui dit : « Madame, vous avez fait tomber cette fleur. »



Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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