mardi 12 mai 2015

Conte: La Mule sans frein (Partie V)

CONTE: LA MULE SANS FREIN (PARTIE V)


V. Les prouesses du chevalier Gauvain, qui rendit à la dame son frein promis

A midi, on conduit le valeureux champion
A l’arène. Apparaît un énorme lion
Qui creusait la terre et qui rongeait sa chaîne
En écumant avec sauvagerie et haine.
Il fond sur le héros, par le sang attiré,
Qui voit, mais sans frémir, son haubert déchiré,
Et à la fin d’un long combat tue la bête
Et d’une autre coupa, plus grande, la tête.
Ne voyant plus d’ennemi, il demanda, vaillant,
Le frein. Sans répondre, le géant bienveillant
Le reconduit à sa chambre pour qu’il répare
Ses forces, car avant qu’il ne s’en empare
Il lui fallait combattre un ennemi plus puissant.
C’était un chevalier des travaux vieillissant
Et qui avait planté les pieux de l’enceinte,
Célébrant sa valeur qui n’était point feinte
Avec les têtes de ces ennemis terrassés.
Ils s’éloignent et on voit leurs lances s’embrasser
Et voler en éclats. Leurs chevaux se séparent,
Et ils combattent à pieds, rugissent, chargent, parent,
Leur écu étincelle et leurs farouches yeux.
Le combat dura deux heures, sombre et furieux,
Et les deux chevaliers sont emplis de rage ;
Gauvain fond sur l’ennemi, redouble de courage,
Et en lui assenant un prodigieux coup
Lui brisa son heaume et allait couper son cou,
Mais son adversaire lui demanda la vie
Et se rendit pour qu’elle ne lui fût point ravie.
Le héros avait droit au frein qu’il mérita,
Mais la châtelaine que sa victoire irrita
Tenta de le séduire. Pour célébrer sa gloire,
Le nain vint l’inviter, suite à sa victoire,
A un majestueux et auguste festin.
La dame, qui voulait un différent destin
Pour Gauvain, le reçut avec respect et joie,
Couverte, sur son trône, de joyaux et de soie.
Elle lui dit : « Messire, vous êtes un grand guerrier,
Vous méritez le frein, mais je viens vous prier
De renoncer à vos droits vaillants, et d’être
Mon chevalier, ainsi que mon époux et maître.
La dame sur la mule est en effet ma sœur,
Elle m’a pris le frein et vous mes défenseurs.
Je vous rendrai riche, et votre bras invincible
Pourra exercer sa valeur sur d’autres cibles. »
La dame était fort belle, et pendant le repas
Elle servit Gauvain, et jusqu’à son trépas
Promit de lui être fidèle. Mais ces offres
Ne séduisirent point Gauvain. Après ces affres,
Il voulait revenir, victorieux et loyal,
Avec le frein de la dame au château royal.
On le lui donna donc, et sa quête finie,
Vit, libérés d’une sinistre tyrannie,
Surpris, les habitants qui ne pouvaient sortir
A cause des lions, lui dire avant de partir
Qu’il était leur sauveur, et louer son courage
En lui baisant la main, et son heureux ouvrage.
Gauvain rentra donc au château avec le frein,
Content de sa valeur, confiant et serein.
On l’accueillit avec une grande fête
Et l’appela le preux, l’ennemi de la défaite
Et le grand chevalier aux éternels travaux.
Mais la dame, courant vers des hasards nouveaux,
– Voyez, messires, la malignité des femmes –
Prit le frein, et le soir, dédaignant la flamme
Du héros qui brava pour elle mille hasards,
S’enfuit sur sa mule à l’abri des regards.

[FIN DU CONTE: LA MULE SANS FREIN]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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