CONTE: LA MULE SANS FREIN (PARTIE iI)
II. Ce que fit maître Queux, le gonfalonier du roi
Artus, pour récupérer le frein de la mule de la dame, et comment il échoua à
accomplir sa mission
Tous les preux chevaliers, ravis de
cette offre,
Songeaient à secourir la beauté qui
souffre
Et braver l’univers pour sa si blanche
main.
Mais avant qu’ils ne lui demandassent
chemin,
Le sénéchal, maître Queux, saisit la
parole,
Car il voulait remplir ce chevaleresque
rôle ;
Il était frère de lait et gonfalonier
Du grand roi Artus, mais laid comme un
lardonnier,
Le pauvre sire ! qui n’était pas
des plus braves.
Il dit à la dame d’un ton auguste et
grave
Que son bras est à son service
désormais.
De ce champion la belle en son cœur s’alarmait,
Et elle eût préféré une plus séduisante
Figure que cette tête reluisante.
Mais elle accepta son bras. Ce dernier,
serein,
Jura de ramener, fût-il en enfer, le
frein,
Et avant de partir sur sa monture
prompte
Voulut, pour l’enhardir, un baiser à
compte,
Et sa face barbue du visage vermeil
S’approchait, fermant les yeux comme de
sommeil.
La dame refusa rudement, comme on pense,
D’accorder à maître Queux cette
récompense
Avant qu’il n’apportât la dot qu’il lui
promit.
Celui-ci, maudissant le destin ennemi,
Partit en maugréant et se laissant
conduire,
Résolu à vaincre tous les monstres et
instruire
La dame et le pays de sa grande valeur,
Par la savante mule, preste comme un
voleur,
Qui connaissait déjà le chemin à prendre.
A une forêt plus noire que la cendre
La mule conduisit le prétendu champion.
Des troupeaux de tigres, de léopards, de
lions
Et de mille autres fauves, de toutes
parts surgirent
Et en voyant maître Queux venir
rugirent.
Le pauvre homme eut grand peur et de les
voir tremblait
Et le trépas chose certaine lui
semblait,
Il regretta, quand il vit ces bêtes
immondes,
Sa fanfaronnade, et tous les baisers du
monde
N’eussent été rien pour lui devant ce
grand danger.
Mais les bêtes, au lieu de dévorer l’étranger,
En voyant la mule se prosternèrent
toutes
Pour lui lécher les pieds et qu’elle fît
sa route.
Du pauvre maître Queux quel fut le
soulagement !
Il n’entendit nul fauve rugir
sauvagement,
Mais en sortant des bois, il vit devant
l’allée
Une si obscure et si profonde vallée
Qu’elle eût fait le plus preux des
chevaliers blêmir.
Sans se soucier de voir son cavalier
frémir
La mule y entra. Les vents furieux
mugissaient,
Serpents, scorpions, dragons courroucés
rugissaient
En emplissant le soir de leurs éclairs
ardents,
Les montagnes tombaient comme de
vieilles dents,
Et bien qu’il fît plus froid dans la
sauvage lande
Où était le pauvre maître Queux, qu’en
Islande,
La sueur ruisselait sur tout son corps
tremblant
Et d’être preux il ne pouvait faire
semblant.
Il franchit la vallée grâce à sa monture
Et croyait finir sa dangereuse aventure
Et qu’il allait revenir triomphant au
château.
Mais le voici qui voit, sans pont ni
bateau,
Une sombre rivière, et entre ses rives
Deux rochers escarpés. Sa brave mule
arrive
Au premier, et il voit le tronc d’un
grand sapin
Allongé, qu’elle allait franchir comme
un lapin.
Queux, l’âme de toutes ces aventures
lasse,
Renonça et revint, triste et l’oreille
basse,
Il repassa par la même vallée, raillé,
Lui semblait-il, par tous les fauves,
débraillé
Comme un pauvre hère. Les guetteurs
signalèrent
Son arrivée au roi ; les chevaliers
allèrent,
Le croyant triomphant, afin de recevoir
Ce vaillant chevalier qui remplit son
devoir.
Artus lui-même vint le conduire à la
dame,
Mais il leur avoua, avec douleur d’âme,
Qu’il rentrait les mains vides, honteux
comme un larron.
Ecuyers, pages, dames, demoiselles,
barons,
Chacun le plaisanta de son mieux ;
le bonhomme,
Qui devenait ainsi la risée du royaume,
N’osant lever les yeux, parler ou se
fâcher,
Disparut et s’alla loin de la cour
cacher.
[A SUIVRE]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
|
La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
dimanche 10 mai 2015
Conte: La Mule sans frein (Partie II)
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