dimanche 10 mai 2015

Conte: La Mule sans frein (Partie II)

CONTE: LA MULE SANS FREIN (PARTIE iI)


II. Ce que fit maître Queux, le gonfalonier du roi Artus, pour récupérer le frein de la mule de la dame, et comment il échoua à accomplir sa mission

Tous les preux chevaliers, ravis de cette offre,
Songeaient à secourir la beauté qui souffre
Et braver l’univers pour sa si blanche main.
Mais avant qu’ils ne lui demandassent chemin,
Le sénéchal, maître Queux, saisit la parole,
Car il voulait remplir ce chevaleresque rôle ;
Il était frère de lait et gonfalonier
Du grand roi Artus, mais laid comme un lardonnier,
Le pauvre sire ! qui n’était pas des plus braves.
Il dit à la dame d’un ton auguste et grave
Que son bras est à son service désormais.
De ce champion la belle en son cœur s’alarmait,
Et elle eût préféré une plus séduisante
Figure que cette tête reluisante.
Mais elle accepta son bras. Ce dernier, serein,
Jura de ramener, fût-il en enfer, le frein,
Et avant de partir sur sa monture prompte
Voulut, pour l’enhardir, un baiser à compte,
Et sa face barbue du visage vermeil
S’approchait, fermant les yeux comme de sommeil.
La dame refusa rudement, comme on pense,
D’accorder à maître Queux cette récompense
Avant qu’il n’apportât la dot qu’il lui promit.
Celui-ci, maudissant le destin ennemi,
Partit en maugréant et se laissant conduire,
Résolu à vaincre tous les monstres et instruire
La dame et le pays de sa grande valeur,
Par la savante mule, preste comme un voleur,
Qui connaissait déjà le chemin à prendre.
A une forêt plus noire que la cendre
La mule conduisit le prétendu champion.
Des troupeaux de tigres, de léopards, de lions
Et de mille autres fauves, de toutes parts surgirent
Et en voyant maître Queux venir rugirent.
Le pauvre homme eut grand peur et de les voir tremblait
Et le trépas chose certaine lui semblait,
Il regretta, quand il vit ces bêtes immondes,
Sa fanfaronnade, et tous les baisers du monde
N’eussent été rien pour lui devant ce grand danger.
Mais les bêtes, au lieu de dévorer l’étranger,
En voyant la mule se prosternèrent toutes
Pour lui lécher les pieds et qu’elle fît sa route.
Du pauvre maître Queux quel fut le soulagement !
Il n’entendit nul fauve rugir sauvagement,
Mais en sortant des bois, il vit devant l’allée
Une si obscure et si profonde vallée
Qu’elle eût fait le plus preux des chevaliers blêmir.
Sans se soucier de voir son cavalier frémir
La mule y entra. Les vents furieux mugissaient,
Serpents, scorpions, dragons courroucés rugissaient
En emplissant le soir de leurs éclairs ardents,
Les montagnes tombaient comme de vieilles dents,
Et bien qu’il fît plus froid dans la sauvage lande
Où était le pauvre maître Queux, qu’en Islande,
La sueur ruisselait sur tout son corps tremblant
Et d’être preux il ne pouvait faire semblant.
Il franchit la vallée grâce à sa monture
Et croyait finir sa dangereuse aventure
Et qu’il allait revenir triomphant au château.
Mais le voici qui voit, sans pont ni bateau,
Une sombre rivière, et entre ses rives
Deux rochers escarpés. Sa brave mule arrive
Au premier, et il voit le tronc d’un grand sapin
Allongé, qu’elle allait franchir comme un lapin.
Queux, l’âme de toutes ces aventures lasse,
Renonça et revint, triste et l’oreille basse,
Il repassa par la même vallée, raillé,
Lui semblait-il, par tous les fauves, débraillé
Comme un pauvre hère. Les guetteurs signalèrent
Son arrivée au roi ; les chevaliers allèrent,
Le croyant triomphant, afin de recevoir
Ce vaillant chevalier qui remplit son devoir.
Artus lui-même vint le conduire à la dame,
Mais il leur avoua, avec douleur d’âme,
Qu’il rentrait les mains vides, honteux comme un larron.
Ecuyers, pages, dames, demoiselles, barons,
Chacun le plaisanta de son mieux ; le bonhomme,
Qui devenait ainsi la risée du royaume,
N’osant lever les yeux, parler ou se fâcher,
Disparut et s’alla loin de la cour cacher.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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