CONTE: DU JONGLEUR QUI ALLA EN ENFER (PARTIE IiI)
III. Comment se termina la partie que le ménétrier
joua contre saint Pierre, et ce que fit Lucifer
Le ménétrier va, dans la chaudière
immense,
Chercher quelques âmes, et la partie
commence,
Pierre étale son or, et au bord du
fourneau
Les deux jours s’assoient dans les
gouffres infernaux.
Le saint gagnait toujours, malgré toute
l’adresse
De son adversaire qui, sans nulle
paresse,
Redoublait et même triplait tous ses
paris,
Mais perdait toujours et en était fort
marri.
Ne comprenant rien à cette infortune
cruelle
Et qui lui était, plus est, perpétuelle,
Il s’étonna d’abord de sa dextérité
Puis se dit qu’il trichait au jeu en
vérité
Car il ne pouvait perdre autant de fois
de suite.
Il se fâcha donc de l’indigne conduite
De son adversaire, s’emporta, l’injuria
Et qu’il ne paierait point une âme lui cria.
Son adversaire lui dit qu’il n’était qu’un
fourbe,
Ils se battirent et ils se prirent à la
barbe,
Le saint était le plus fort et il le
rossa.
De cette querelle bientôt il se lassa
Et proposa à saint Pierre une autre
partie.
« Toutes les âmes de la chaudière sorties,
L’avertit le saint, n’y vont plus y
revenir,
Car cette fois je ne vais plus me
retenir
Pour te jeter dedans. » Chevaliers ou
moines,
Roturiers ou princes, chanoinesses ou
chanoines,
Le ménétrier lui jura qu’il choisirait
Parmi toutes ces âmes celles qu’il
désirait
Et promit de payer, cette fois, sans
traitrise.
A cette partie, à sa plus grande
surprise,
Notre ménétrier ne fut pas plus heureux,
Et au jeu n’étant point toutefois un
peureux,
Joua cent âmes, mille âmes, les perdit
toutes,
Ce qui rendit le saint très content sans
doute.
Certain de perdre face au prodigieux
joueur,
Il se leva, disant qu’il lui faut un
voueur
Pour gagner la partie, maudissant l’infortune
Qui sur terre comme en enfer l’importune.
Le saint, sans s’occuper de ses
malédictions,
Alla sauver de leur éternelle affliction
Des âmes à la chaudière. Toutes les
victimes
Criaient en l’implorant d’être
magnanime.
Mais le ménétrier furieux y accourut,
Et comme jadis sur terre resté bourru
Et aventurier, il résolut sans attendre,
Dans sa folie, de tout gagner ou tout
perdre.
Il proposa au saint, qui ne voulait pas
mieux,
De jouer toutes les âmes, et l’apôtre
vieux
Gagna encore et prit toutes ces âmes
heureuses
Au paradis, loin de la géhenne affreuse.
Lucifer arriva quelques heures plus tard
Avec sa troupe, et fut courroucé et
hagard
De voir tous ses brasiers éteints et
livides
Et sa vaste chaudière devenue soudain
vide.
Il appela le chauffeur : « Par
mes scorpions et rats
Tu seras dévoré ! Qu’as-tu fait,
scélérat ?
Où sont mes prisonniers ? Je ne
vois nulle âme,
Prépare-toi à être embrasé par la
flamme,
Je vais t’écorcher vif, et comme un bon
repas
Te cuire, sans même t’accorder le
trépas. »
Le ménétrier, qui tremblait de tous ses
membres,
Conta à Lucifer toute l’affaire sombre
En accusant du sort la noire inimitié
Et en implorant de son maître la pitié.
« Quel est donc le butor qui à mon
royaume,
S’écria Lucifer, a amené cet homme ?
Qu’on l’amène à son tour, il va s’en
repentir. »
On lui amena donc, sans un instant
ralentir,
Le pauvre diablotin. D’une verte manière
On l’étrilla ; jusqu’à son heure
dernière
De ne plus se charger d’aucun ménétrier
Il jura. Quand on eut fini de l’étriller,
Le monarque ordonna : « Chassez
d’ici ce hère,
Et votre châtiment sera des plus sévères
Si vous osez faire venir des musiciens.
Dieu peut le recevoir à l’éden. Il est
sien
Car il aime la joie, et moi je l’abhorre. »
Le chanteur ne se fit pas prier encore,
Il se sauva et fut reçu au paradis.
Ménétriers, jongleurs, aucun ne vous l’a
dit :
Réjouissez-vous, que le Diable vous emporte !
Ce ménétrier vous a fermé la porte
De l’enfer, et vous n’y serez jamais
entrés
Grâce à cet homme que saint Pierre a
rencontré.
[FIN DU CONTE: DU JONGLEUR QUI ALLA EN ENFER]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
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La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2182.
mercredi 6 mai 2015
Conte: Du Jongleur qui alla en enfer (Partie III)
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