lundi 4 mai 2015

Conte: Du Jongleur qui alla en enfer (Partie I)

CONTE: du jongleur qui alla en enfer (PARTIE I) 

I. Comment un ménétrier alla en enfer, et la mission dont Lucifer le chargea

A Sens, jadis, vivait un doux ménétrier,
Bon garçon mais errant comme un aventurier,
Homme dérangé qui hantait les cavernes
Et qui dépensait tous ses sous à la taverne.
Gagnait-il quelque argent ? Vite il se déridait
A secouer les dés ou aux pots qu’il vidait.
Sans le sou, il mettait son violon en gage.
Aussi, déguenillé, n’ayant point de bagage
Autre que sa chemise, souvent même nu-pieds,
Par la bise ou la pluie comme aux manants il sied
Il allait, sur la tête un chapel de branches,
Demandant de mettre la semaine en dimanches
Au Seigneur tout-puissant, et cependant content.
Il mourut enfin et ne vécut point longtemps.
Un jeune diable, encore novice,
Qui cherchait une âme souillée par le vice
Depuis un mois, sans qu’il ne pût l’escamoter,
Vit notre violoneux, et de le ligoter
S’empressa, et joyeux, emporta son âme
Jusqu’à la géhenne rougie par les flammes.
A cette même heure, aussi fiers que des monts,
De la chasse revenaient de sinistres démons ;
Lucifer, sur la tête sa royale couronne,
Pour les voir arriver assis sur son trône,
Les attendait. Chacun d’eux à ses pieds jetait
Sa proie, et du poids de son fardeau haletait,
Il y avait des champions portant encor le heaume,
Des marchands, des voleurs et des gentilshommes
Et même des moines, tous poussant d’affreux cris
Et d’être les hôtes de Lucifer surpris.
Le noir monarque, dont l’âme est sombre et altière,
Fit jeter les captifs dans sa vaste chaudière
Quand il les eut d’abord tous bien examinés,
Puis il ferma la porte et sans être chagriné
Demanda s’il y avait encore du monde.
« Oui, répondit-on, un pauvre manant immonde
N’est toujours pas rentré. Il est fait comme un bœuf
Et c’est un pauvre idiot, bien simple et bien neuf. »
Le diablotin parut en ce moment même
Et le ménétrier déguenillé et blême.
Lucifer ordonna : « Ah ! approche, mon beau.
Es-tu voleur, espion ? Ou serais-tu ribaud ? »
« Non, sire, répondit-il, dans ma vie physique
J’étais ménétrier, et sur terre en musique
Je suis le plus docte, sans vouloir me vanter. 
Vous ne gagneriez donc rien à m’épouvanter,
Au lieu de me mettre au supplice, je propose
De vous égayer par des chansons non moroses. »
« Des chansons ! s’écria le cruel Lucifer,
Ce n’est point la musique qu’il me faut en enfer.
Vois-tu cette chaudière bien haute et bien large ?
De la faire chauffer, chanteur, je te charge,
Et, parbleu ! tu veilleras qu’il y ait toujours bon feu.
Si tu le refuses, tu y seras sous peu,
A te plonger dedans mes démons seront prestes. »
Notre homme se rendit aussitôt à son poste,
Content d’échapper à l’éternelle affliction,
Et s’acquitta comme il se doit de sa fonction.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène 

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