mardi 5 mai 2015

Conte: Du Jongleur qui alla en enfer (Partie II)

CONTE: DU JONGLEUR QUI ALLA EN ENFER (PARTIE Ii) 


II. Ce que saint Pierre, déguisé en vieil homme, convainquit le ménétrier de faire

Un jour Lucifer, las d’entendre les mêmes râles,
Pour qu’ils fissent ensemble une battue générale
Convoqua ses suppôts, et avant de partir
Appela le chauffeur, qu’il prit soin d’avertir
Qu’il devait se charger pendant son absence
De sa mission, et que la moindre licence
Qu’il accorderait aux captifs, ferait de lui
L’éternel repas de la flamme qui reluit.
« Sire, partez en paix. Que rien ne vous retarde,
Dit le ménétrier. Ils sont sous bonne garde,
Je ne me lasserai point de vous obéir
Et je fais le serment de ne point vous trahir. »
« Je le saurai, lui dit-il, si tu es traître,
De ces lieux que tu vois je suis l’unique maître,
Et donnerai l’ordre de te faire rôtir. »
Dès qu’il vit l’armée de démons enfin partir,
Saint Pierre, qui guettait patiemment l’heure
D’entrer sans souci à l’infernale demeure,
Y alla, en vieillard habilement déguisé,
Qui par le fardeau des années était brisé,
Avec une barbe blanche et la tête baissée
Et de longues moustaches qui étaient bien tressées.
Il accosta notre ménétrier : « L’ami,
Pour jouer aux dés ma mère au monde m’a mis
Bien qu’elle ne fût pas de mon sort avertie.
Il y a de l’argent. Veux-tu faire une partie ? »
Et il lui montra sa bourse emplie d’écus d’or.
« Je n’ai plus rien, lui dit le bonhomme, et je dors
En enfer, hélas ! je n’ai, pour seule mise,
Que cette loque qui me sert de chemise.
Ne me tentez donc point et partez, étranger,
Cessez, car je travaille, d’ainsi me déranger. »
Saint Pierre répliqua : « Tu as bien autre chose
A miser, et seul un brave joueur l’ose,
Ce sont ces jolies âmes de damnés que je vois. »
« Quoi ? s’écria le pauvre hère, baissez la voix !
Si Lucifer entend ce que vous osez dire,
Il nous fera rôtir tous les deux, plein d’ire.
Trouvez-moi quelque autre monnaie. » « Sombre idiot !
Repartit saint Pierre, aux néants primordiaux
Ton maître de chasser avait l’habitude,
Cinq ou six âmes sur une telle multitude
Sont invisibles. Allons, il ne va rien savoir,
Je mets vingt sous au jeu, et tu peux les avoir,
Regarde ces belles pièces toutes neuves !
Amène-moi des âmes de pauvres et de veuves,
Si je m’en vais, tu vas seul ici séjourner
Sans me voir plus jamais à ces lieux retourner. »
Malgré l’avertissement qu’il venait d’entendre,
Le ménétrier, qui avait peur de perdre,
Consentit à jouer quelques coups seulement
Et une âme à la fois, contemplant pâlement
Les dés, sans pouvoir y tenir. « Tope pour une,
Dit l’apôtre, mâle ou femelle, blonde ou brune,
C’est comme tu l’entends, je te laisse choisir,
Et tu peux en miser, mon bonhomme, à loisir. »

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène 

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