jeudi 30 avril 2015

Conte: Griselidis (Partie V)

CONTE: GRISELIDIS (PARTIE V) 


V. La troisième épreuve du marquis, et l’incomparable vertu de Griselidis

La fille du marquis chez sa tante vivait
Et elle avait douze ans, et son frère en avait
Huit. Il voulut qu’auprès de lui ils revinssent
Afin qu’ils vécussent comme princesse et prince,
Et en même temps fit courir le cruel bruit
Dont ses barons furent rapidement instruits
Qu’il allait répudier sa femme et en prendre
Une autre, noble et plus belle, sans attendre.
Griselidis, consternée d’un pareil évènement,
S’arma de courage au lieu de pleurer vainement
Et attendit l’ordre de son mari qu’elle aime
Sans lui montrer une seule fois un front blême.
Celui-ci, devant ses plus vieux barons, lui dit :
« Depuis seize ans tu es ma femme, Griselidis,
Charmé par ta vertu plus que par ta naissance.
Tu mérites sans doute ma reconnaissance
Ainsi que mon amour. Cela me fait pitié,
Mais mes vassaux exigent un noble héritier,
Et Rome m’a permis, d’une famille insigne,
De prendre une épouse qui de moi est digne.
Elle arrivera dans deux jours. Prépare-toi
A lui céder ta place et à quitter ce toit.
Sois donc courageuse et emporte ton douaire. »
Griselidis voila sa douleur d’un suaire
Et répondit à son impassible mari :
« Je comprends que votre cœur de moi soit marri
Et de cette femme je ne suis point jalouse ;
Elle mérite plus que moi d’être votre épouse,
Et la pauvre fille d’un pauvre roturier
Ne peut avoir le cœur assez aventurier
Pour prétendre au rang élevé de votre dame.
Même si je n’avais point, sire, sans vous d’âme,
Je quitte le palais si c’est votre désir
Où j’avais demeuré avant tant de plaisir,
Et je retourne sans murmurer, cher maître,
Dans la même cabane qui m’a vue jadis naître,
Où je rendrai à mon père les mêmes soins
Dont sa sombre vieillesse a encore besoin.
Quant à mon douaire, à votre palais vaste
Je n’ai rien apporté, avec un cœur chaste,
Hormis ma pauvreté, l’amour et le respect.
Souffrez donc que je quitte ce royal aspect
Et que chez mon père bien-aimé je retourne
Là où une pauvresse comme moi séjourne.
Reprenez cet anneau, je quitte votre cour
Pauvre comme j’y suis venue. » De ce discours
Le marquis fut ému et cacha ses larmes.
Griselidis, elle, vêtue de ses seuls charmes,
Quitta ses ornements, ses vêtements, ses joyaux,
Et reprit ses habits. Des chevaliers loyaux,
Des barons et des dames la suivaient, éplorées,
Regrettant la vertu de l’épouse adorée
Qui marchait en silence et ses beaux yeux baissés.
A la cabane où son cher père était laissé
Avec un valet du marquis bien alerte
Elle revint, et de cette découverte
Il ne semblait pas bien surpris, et d’un air doux
L’embrassa tendrement, sans douleur ni courroux,
Car il doutait du fruit de cette mésalliance,
Et remercia sa suite avec bienveillance
En exhortant tout le monde à toujours servir
Le marquis qui venait cruellement de ravir
Sa fille à une vie d’éternelle opulence.
Mais en disant cela il se faisait violence,
Et sa fille, quand tous étaient enfin partis,
Ranimait son courage du malheur averti.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène 

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