mardi 28 avril 2015

Conte: Griselidis (Partie IV)

CONTE: GRISELIDIS (PARTIE Iv) 


IV. La deuxième épreuve que le marquis fit subir à son épouse

La femme du marquis lui resta fidèle
Et lui souriait malgré tout ce qu’il fit d’elle.
Il sondait maintes fois ses yeux afin d’y voir
Ressentiment ou peine, mais faisant son devoir,
Elle ne lui montrait que son amour sans bornes.
Jamais il ne la vit courroucée ou morne,
Et elle ne dit point le prénom interdit
De sa petite qu’elle chérissait et perdit,
Mais Gauthier ne pouvait contempler son cœur pâle.
Quatre années s’envolèrent ; à un enfant mâle
La douce Griselidis donna cette fois jour
Qu’elle nourrit comme sa sœur avec amour
Et combla de bonheur son père et sa mère.
Mais ce bonheur ne fut, hélas, qu’éphémère,
Et le marquis, quand son fils aimé eut deux ans,
Que sa femme en fît le sacrifice pesant
Voulut, pour éprouver encore sa patience,
De la chagriner se faisant une science.
Au discours du marquis elle changea de couleur
Mais voila encore sa mortelle douleur
Sans qu’il n’eût pitié de son cœur misérable.
Voici ce que dit cette femme incomparable,
Princesses, marquises, femmes de l’univers,
Profitez de l’exemple quand vous lirez ces vers :
« Je ne serais, cher sire, qu’une criminelle,
Si j’oubliais cette promesse solennelle
Que je vous fis devant Dieu et vos barons.
J’aurais donc l’âme d’un pendard et d’un larron
Si j’osais la trahir ; mon cœur est l’apôtre
De votre cœur, et mes désirs sont les vôtres,
Car en quittant chez vous, grâce à votre bonté,
Mes anciens habits, j’ai quitté ma volonté,
Je vous appartiens et fidèle je vous demeure.
J’y conviens sans remords s’il vous plaît que je meure
Car le trépas, fût-il le plus sombre et violent,
Auprès de vous déplaire par un cœur insolent
N’est sans doute rien, et si je vous irrite
La mort, noble seigneur, est ce que je mérite.
Prenez, s’il vous sied, ce que vous m’avez donné. »
Le marquis était de plus en plus étonné.
Un autre, ébloui par cette vertu impossible,
Eût cru sa femme sans cœur et impassible,
Mais le marquis, qui vit son épouse nourrir
Ses deux enfants, savait que la faire périr
Lui était plus doux que les quitter de la sorte.
Sans être arrêté par l’amour qu’elle lui porte
Il chargea son sergent de la même mission,
Et ce dernier porta, empli de compassion,
L’enfant à côté de sa sœur à Boulogne.
Après ces deux épreuves, le marquis sans vergogne
Au cœur soupçonneux et que rien ne peut guérir,
Alors qu’il voyait son épouse le chérir
Et lui être toujours aussi obéissante
Que quand il l’épousa, tendre et caressante
Comme si nul malheur jamais ne la toucha,
De sa grande vertu soudain s’effaroucha
Et décida, cruel comme la manticore,
De l’éprouver et de la tourmenter encore.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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