samedi 6 août 2016

Conte: L'église de saint Jean

CONTE: L'église de saint jean

La piève de Santa-Lucia-di-Tallano
Que les monts entouraient comme de grands anneaux
Avait des églises dans tous ses villages
Hormis Poggio, objet de tous les persiflages.
Les habitants, froissés, se dirent un jour : « Il faut
Que nous érigions notre église sans défaut. »
Ils se réunirent sur la place publique,
Pansus et bien maigres, riches et faméliques,
Et déclarèrent tous, avant que de partir,
Que dans un champ désert il la fallait bâtir.
Ils ne tardèrent point, dans leur enthousiasme,
A se mettre au travail, guidés par leur fantasme ;
Hommes, femmes et enfants, appelés par leur foi,
Travaillèrent si bien, tant de jours, tant de fois,
Qu’ils apportèrent tout, matériaux et pierres,
Au lieu convenu à force de prières.
Les truelles, les pics et les pioches en main,
Les maçons de Poggio vinrent le lendemain,
Mais ils ne trouvèrent point, à leur surprise,
La pierre, comme si le diable l’avait prise.
Tout le village s’en émut. Qui est l’auteur
De l’ignoble larcin ? Et – par le Créateur ! –
Comment a-t-il porté une pierre si lourde ?
Qui croirait des autres villages à cette bourde ?
On chercha donc un autre endroit, et on trouva
Une belle vallée où seul l’oiseau va.
« Des plaisantins nous ont joué une farce »,
Dirent les villageois, et leurs ardeurs éparses
Réunies, les voilà charriant les matériaux
Et poussant ensemble de grands cris victoriaux.
Cela dura longtemps malgré leur prestesse
Car les routes étaient mauvaises hôtesses.
Le lendemain matin, ô surprise et effroi !
La pierre avait changé subitement d’endroit,
Et les Poggiolinchi étaient en colère.
« C’est une farce que nul chrétien ne tolère !
C’est le diable qui veut décourager nos cœurs,
Bâtissons notre église et nous serons vainqueurs. »
Et tous les travailleurs, malgré leur grande rage,
Se remirent bientôt tous ensemble à l’ouvrage.
A minuit, des malins dirent : « Ne partons pas.
Et reposons ici, cette nuit, nos bras las.
Nous saurons qui nous a joué ce tour infâme. »
Et ils restèrent tous, hommes, enfants et femmes.
On chargea les armes et on se cacha sans bruit
Pour que de ce mystère on fût enfin instruits.
Une heure passée, on vit venir un âne
Et un homme. « Par saint Pancrace et saint Antoine !
S’écria un paysan, je veux bien faire feu ! »
«Mais non, conseilla un autre, attendons un peu
Et nous saurons comment les farceurs s’y prennent
Pour transporter tous ces fardeaux l’âme sereine. »
L’homme chargeait l’âne de tous les pesants faix
Qui auraient écrasé cent grands chevaux bien faits
Et qui semblaient pour lui légers comme la soie.
La colère de tous se transforma en joie ;
On cria au miracle à la vue de l’exploit.
« Qui êtes-vous, saint homme ? Au nom de quelle loi
Prenez-vous chaque soir toute notre pierre ? »
« Je suis saint Jean. J’ai ouï toutes vos prières,
Comme vous bâtissez l’église à mon honneur,
Je suis venu ici, bonne gens, en préveneur :
Cette terre est maudite et j’en suis chagriné,
Mais un enfant y a été assassiné
Ainsi que sa mère, par un misérable. »
Quand il eut dit ces mots, le passant vénérable
Disparut avec l’âne, et suivant son dessein,
On bâtit l’église là où voulut le saint. 


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène 

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