CONTE: les deux chevaux
A Longueau, près
d’Amiens, labourant sans lâcheté,
Il y avait un
vilain qui avait acheté
Selon ses
facultés qui étaient bien minces,
Car il n’était
ni un baron ni un prince,
Un roussin fort
chétif pour faire sa moisson.
Il le
nourrissait mal, et quant à la boisson,
Il ne lui en
donnait que pour rester en vie,
Et son travail à
nulle bête faisait envie.
Dès que la
moisson fut finie, de ses bons soins
Le jugeant
indigne et n’en ayant plus besoin,
Il résolut de s’en
défaire et le vendre.
Au château d’Amiens
il voulut donc se rendre
Avec son roussin
qui était bien bouchonné,
Bien étrillé et
bien lavé et étonné.
Cette pauvre
bête marchait sans mors, morne,
Ses côtes
saillaient et elle avait le poil terne,
Pareille au
voyageur las, assoiffé et seul.
En chemin il y
avait le prieuré d’Acheul.
Un moine était
venu par hasard à la porte
Et vit le manant
et sa bête presque morte
Et lui dit qu’ils
avaient un cheval au couvent
Dont ils pensaient
à se défaire bien souvent
Et qu’on
pourrait troquer, s’il voulait le faire,
Contre le sien.
L’idée semblait lui plaire,
A l’écurie il
vit, par l’affaire appelé,
Une haquenée
grande et vieille, au dos ensellé,
Au cou de grue,
basse devant, du derrière haute
Et tellement
maigre qu’on riait sans défaute
En la regardant,
ce que notre manant fit.
Le moine,
mécontent que de sa bête on rît,
Prétendit qu’elle
était bonne et qu’il la préfère
A son roussin
pesteux, que pour se refaire
Il ne lui
fallait que du repos mérité
Et qu’elle fût
traitée sans la sévérité,
Et que tous les
jours les maquignons qui allaient
Au marché,
vendaient des bêtes qui ne valaient
Pas la moitié de
sa jument, pour cent bons sous.
« On en
voit la peau mais on ne voit rien dessous,
Railla le
villageois. Ton discours m’étonne
Parce que ta
jument n’est qu’à écorcher bonne
Et c’est sa peau
que tu me vends apparemment.
Vois donc ce
bidet : ça travaille puissamment,
Il est bien
troussé et il a bonne mine,
Ça laboure, ça
herse, ça brave la famine
Et ça va sous l’homme
comme un oiseau léger.
Il est mieux que
ta bête, sans vouloir t’affliger. »
Le manant
déprisa tant le cheval du moine
Et vanta tant le
sien, que par saint Antoine
Et tous les
apôtres, le religieux piqué
Jura de venger
son honneur par lui moqué.
Pour savoir quelle
était la bête la plus forte,
Il lui proposa –
que le Diable l’emporte ! –
De les attacher
tous deux par la queue et voir
Qui pourrait
emporter l’autre ainsi et sans choir.
« Si le
vôtre entraîne le mien, les deux bêtes,
Dit le moine,
sont à vous, et sur ma tête
Je vous en fais
serment. Mais vous perdrez les deux
Si ma jument
entraîne votre roussin hideux
Dans l’écurie,
ce que j’attends certes d’elle. »
Armés d’une houssine,
tirant leurs haridelles
Par le licou,
chacun à marcher exhortait
Sa bête, et
nulle sur l’autre ne l’emportait
Car elles
étaient toutes deux vieilles et débiles.
Le vilain
cependant, qui était plus habile,
Vit que son
roussin est le plus faible, et rusa :
Il laissa
reculer son cheval, l’amusa,
Epuisant ainsi
la vigueur de la haquenée,
Et quand il vit
qu’elle haletait, lasse et gênée,
Ranima son
cheval de la voix : « Hue ! mon gris,
Allons, du cœur,
mon roi ! Hue ! hue ! » Avec ses cris
Il reprend
courage, et sans assistance
Emporte la
jument sans nulle résistance.
Le moine,
courroucé de la perdre, frappa
Vainement, puis
avec son couteau il coupa
La queue du
roussin, et referma la porte.
Les deux chevaux
s’enfuirent. De cette rude perte
Affligé, le
manant appela et cria.
En colère à la
cour de l’évêque, il pria
De lui rendre
justice. On rit de l’affaire
Et tous ceux qui
étaient présents s’esclaffèrent
De voir ce bon
manant de sa jument grugé,
Et le procès
traîna et ne fut pas jugé.
Je vous laisse
songer ; soyez-en les maîtres,
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La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2182.
dimanche 3 mai 2015
Conte: Les deux Chevaux
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