CONTE: LES TROIS AVEUGLES DE COMPIÈGNE (PARTIE IV)
IV. Ce qui arriva à l’hôtelier Nicole quand il
voulut récupérer ses quinze sous
Tout ce qu’avait conté le fourbe
voyageur,
Comme aux trois aveugles, à son crédule
logeur,
N’était en vérité qu’une autre malice
Dont il se délectait avecque délice,
Car il voulait jouer un tour à l’hôtelier
Qui se montrait de plus en plus
hospitalier,
Débarrassé, grâce à son hôte, des trois
poisses.
Dans ce moment sonnait la messe à la
paroisse ;
Il sut qu’elle serait dite par le curé :
« Le connaissez-vous et êtes-vous
assuré
Que s’il se charge des sous vous m’en
tiendrez quitte ? »
« Certes, sire », dit l’hôte. « Allons
le voir de suite,
Continua le clerc, et vous serez payé. »
L’hôtelier le suivit, toujours égayé.
Avant qu’ils ne sortissent, le clerc
donna l’ordre
A son écuyer, sans qu’il ne se fît
entendre,
De seller les chevaux et d’être prêt à
fuir,
Ce dont ce malheureux semblait bien se
réjouir.
Le prêtre, à leur entrée, allait chanter
sa messe,
Car c’était un dimanche. « Je
vous fais la promesse,
Dit le clerc, que vos quinze sous vous
seront donnés.
Mais ce sera fort long ; je vais
réunionner
Avec votre curé, avant qu’il ne
commence.
De m’attendre ici un peu ayez la
clémence. »
S’approchant du curé, il tira douze
deniers
Qu’il glissa, adroit, dans la main de ce
dernier.
« Sire, dit-il, d’audace déjà je m’accuse,
Mais entre gens du même état tout s’excuse.
Je suis un voyageur par la ville passé
Et mon cheval de tant de lieues est
lassé ;
J’ai logé cette nuit – il m’en fit la
prière –
Chez un paroissien que voici là derrière,
Près de nous. C’est un bon homme, sans
se douter,
Mais je vous prie à son sujet de m’écouter :
Son cerveau est faible et pris de
mélancolie,
Il lui est venu, hier, un accès de folie
Qui nous a alarmés et de dormir privés
Sans que nous ne sachions ce qui lui est
arrivé.
Il va mieux ce matin, mais il sent
encore
Un mal à la tête, et pieux, depuis l’aurore
De le faire venir ici pour le guérir
Il nous a implorés ; je vous prie
de souffrir,
Pour que Christ lui rende sa santé
fragile,
De lui dire, après la messe, un
évangile. »
« Volontiers », répondit le
bon curé Lucien
Qui se tourna alors vers son paroissien
Et lui dit : « Mon ami, j’ai
une messe à dire,
Je vous satisferai ensuite, n’ayez d’ire. »
Nicole crut que le curé parlait de sous
Qu’il le vit cacher, peu avant, dans ses
dessous.
Il reconduisit le clerc jusqu’à l’auberge,
Pria pour lui Jésus et la bonne Vierge,
Lui souhaita un bon voyage, et retourna
A l’église où à attendre il se borna.
Le curé, la messe dite, avec son étole
Et son livre revint vers l’hôtelier
Nicole :
« Mon ami, lui dit-il, mettez-vous
à genoux. »
Il répondit, surpris : « Christ
ait pitié de nous !
Mais je viens pour mes sous, non pour
des litanies,
Et n’ai point besoin de cette cérémonie. »
« Cet homme est fou, dit en
lui-même le pasteur,
Ce n’est point lui qui parle, mais le
Blasphémateur. »
D’un ton doux il lui dit : « Mon
ami, n’ayez crainte,
Le Diable a noirci votre âme de son
empreinte,
Mais je vais vous guérir, vous en avez
besoin. »
Il commença donc à lui prodiguer ses
soins,
Mais Nicole, en colère, se lève et
tempête
Et qu’il lui faut ses sous tout de suite
répète.
Le prêtre commanda alors, fort irrité,
De saisir cet homme comme il l’avait
mérité
Car il est possédé et fou. « Par
saint Corneille !
Cria-t-il, vous êtes mauvaises oreilles !
Je ne le suis pas. Je ne veux que mon
argent ;
Je dois rentrer à mon auberge. C’est
urgent. »
On le saisit par les mains, le corps et
les jambes,
Et le voilà qui comme un feu soudain
flambe
Et fait de grands efforts afin de s’échapper,
Jurant comme un damné, essayant de
frapper.
Il se lassa enfin, et le vaillant prêtre
Lui lut son évangile d’un bout jusqu’à l’autre
Puis de son eau bénite l’aspergea
copieusement
Et lui donna quelques bénédictions
pieusement
Et permit qu’il sortît. Le pauvre
Nicole,
Triste et fatigué de toutes ses
bricoles,
Se retira chez lui, pareil à un banni,
Ayant perdu ses sous, malheureux et
honni ;
Il avait eu à la place un évangile
Et des soufflets, et fut traité comme un
gille.
[FIN DU CONTE: LES TROIS AVEUGLES DE COMPIÈGNE]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
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La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2182.
dimanche 12 avril 2015
Conte: Les trois Aveugles de Compiègne (Partie IV)
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