vendredi 10 avril 2015

Conte: Les trois Aveugles de Compiègne (Partie II)

CONTE: LES TROIS AVEUGLES DE COMPIÈGNE (PARTIE II) 


II. Ce que les trois aveugles firent de leur écu imaginaire

A la ville on criait : « Bon vin, vin de Soissons,
Vin d’Auxerre à bon prix, bonne chère et poisson ! »
Les trois aveugles, que maintes lieues affamèrent
Et avaient grand soif et avaient la bouche amère,
N’allèrent pas plus loin, et dès qu’ils furent entrés,
Dirent que bien qu’ils fussent en manants accoutrés
Leurs bourses étaient bien garnies et pesantes
Et pour acheter toute l’auberge suffisantes.
Nicole, l’hôtelier, surpris de leur aspect,
Les reçut néanmoins avec un grand respect,
Accoutumé à voir des gens de leur espèce
Plus que des bien vêtus dépenser des pièces.
Il les mena dans sa belle salle, cria
Qu’on les servît, et de s’asseoir les pria.
Ils demandèrent les choses les plus chères
Et qu’on leur fît faire sans délai grande chère,
Et voilà que comme des rois dans leurs palais,
Tout le monde : maître, servantes et valets,
Et même un voisin dont on implora l’aide,
S’empresse de servir, leur sourit et plaide.
L’on eût pris l’auberge pour une grande cour ;
On parvint, à force de mains et de secours,
A servir un dîner aux hôtes redoutables,
Composé de cinq plats, qui se mirent à table,
Parlant, riant, chantant, buvant à leurs santés
Et bénissant le clerc, toutefois plaisanté,
Dont l’écu leur permit de manger et de boire
Et d’emplir de bon vin enfin leurs ciboires.
Celui-ci les avait suivis sans s’ennuyer
Jusqu’à l’auberge, avec son fidèle écuyer,
Et ils riaient tous deux de leurs gaillardises
Et de les ouïr dire toutes ces vantardises.
Pour ne rien perdre de leur entretien joyeux,
Et comme ils avaient des bouches et n’avaient point d’yeux,
Le clerc farceur dîna et soupa avec l’hôte.
Ils buvaient cependant comme des goulottes
Et mangeaient avec bruit dans la salle d’honneur ;
La fête gauloise de ces gourmands dîneurs
Dura bien longtemps, de rires et de mets ornée.
Pour qu’ils terminassent une si belle journée
Comme il se devait, ils demandèrent des lits
Et ils couchèrent sans douter de leur délit.
Le lendemain matin, l’hôte qu’ils ennuyèrent,
Dès qu’ils descendirent et qu’ils se réveillèrent,
Compta leur dépense et leur demanda dix sous.
Le malicieux clerc, qui les en savait dissous,
Attendait ce moment avec impatience ;
Afin d’en jouir à son aise et avec science,
Il se plaça dans un coin sans se laisser voir
Pour que sa présence ne se fît point savoir.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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