jeudi 9 avril 2015

Conte: Les trois Aveugles de Compiègne (Partie I)

CONTE: Les trois aveugles de Compiègne (PARTIE I) 

I. La ruse d’un clerc farceur, qui dupa les trois aveugles de Compiègne

Trois aveugles vivant au temps de Charlemagne,
Quêtant au voisinage, partirent de Compiègne,
Car ils mangeaient d’aumônes et ils étaient sans lits.
Ils suivaient prestement le chemin de Senlis,
Chacun d’eux un bâton à la main et une tasse.
Un jeune clerc fort bien monté et qui passe,
Suivi d’un écuyer à cheval, se rendait
De Paris à Compiègne. La route s’étendait
Devant lui, et semblait ne point avoir de terme,
Et il fut frappé du pas allongé et ferme
Des aveugles, et se dit en lui-même : « Voilà
Des drôles trop sûrs de leur sort que je vois là !
Ils ont une marche trop assurée, sans doute,
Pour des gens qui errent et qui ne voient goutte.
Que Diable m’emporte ! J’aimerais bien savoir
S’ils sont vraiment aveugles, et m’en fais un devoir. »
Dès qu’il fut arrivé près des trois compères,
Les pauvres gens, qui à chaque bruit espèrent,
Demandèrent l’aumône, miséreux et tremblants.
Le clerc les appela, et en faisant semblant
De leur donner quelque chose : « Je vous offre,
Mes bons sires, leur dit-il, en pleurant vos affres,
Cet écu : partagez-le, il est à vous trois. »
« Que Dieu vous bénisse et qu’il vous fasse roi !
S’écrièrent-ils, et qu’il vous récompense
Avec le paradis pour cette dépense. »
Nul d’eux n’avait l’écu ; chacun d’eux cependant
Croyait que l’autre l’eut, courtoisement défendant
A lui-même d’en quérir le propriétaire.
Après avoir prié pour le clerc sur terre
Et dans l’au-delà, bien contents, le Tout-Puissant,
Ils se remirent en route, beaucoup ralentissant
Leurs pas, pareils à des divinités anciennes.
Le clerc feignit d’aller continuer la sienne,
Mais à son écuyer il donna son cheval
Et suivit les aveugles comme le mont le val
En lui ordonnant de l’attendre à la ville.
Le croyant parti, les aveugles, plus tranquilles,
S’arrêtèrent, et le chef de la troupe, ravi,
Dit : « La journée est bien bonne ! Je suis d’avis
De revenir à Compiègne ; grâce à la bienveillance
De ce brave chrétien, allons faire bombance. 
On est las et nous ne sommes point divertis. »
Les voilà donc pour leur Compiègne repartis
Après avoir reçu avec de grands éloges
Cette proposition, et oublié leur loge.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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