mardi 24 février 2015

Conte: La Chèvre blanche (Partie IV)

CONTE: LA CHÈVRE BLANCHE (PARTIE IV)


IV. Le retour du capitaine, et comment il vit sa fille, changée en chèvre blanche

Quand le capitaine des ondes fut revenu,
Il pleurait de dépit, le brave homme chenu,
Et de perdre sa fille était inconsolable,
Qui à sa défunte femme était semblable.
Il se lassa, riche et par le sort fatigué,
D’errer de mer en mer et toujours naviguer,
Et allait à la chasse afin de se distraire.
Sa femme ne voulait point le laisser faire,
Et par maintes ruses des bois le détournait
Pour l’éloigner des ruines où sa fille séjournait,
Qui de beaucoup d’oiseaux étaient le refuge.
Mais il chassait toujours malgré ses subterfuges ;
Un jour, il alla aux ruines qu’elle redoutait
Et vit la mignonne chevrette qui broutait
Dans les anciens jardins du château fertiles,
Et qui le contemplait, charmante et subtile.
« Ah ! elle est bien jolie, cette chèvre au blanc manteau !
S’écria-t-il. Que fait-elle en ce vieux château,
Et comment est-elle dans ces ruines tombée ? »
Elle le reconnut, et en disant : « Bée, bée »
D’une voix bien douce, vint lui lécher les mains,
Et lui la caressait, ému. « Comme un humain,
S’étonna-t-il, elle me regarde, et est pareille
A ma fille, et elle a sa marque à l’oreille. »
Du château délabré il voulait la sortir,
Mais un maléfice l’empêchait de partir.
Son père s’éloigna, la croyant rebelle,
Et revint chez lui. De cette chèvre si belle
A sa fille Césarine il parlait tout le soir,
Et le lendemain lui promit d’aller la voir.
« Ah ! s’écria-t-il, c’est moi qui vis cette chèvre
Qui me semblait avoir le sourire aux lèvres !
Qu’elle est blanche et belle, que ces yeux sont beaux !
Comme ma fille Euphrosine, hélas, dans son tombeau,
Elle a une marque à l’oreille. Après l’aurore,
Nous verrons cette chèvre qui doit hanter encore
Les ruines du château. Demain tu la verras,
Et je pense que, comme moi, elle te plaira. »
Césarine, qui savait que cette chèvre errante
Etait sa sœur, feignit d’être un peu souffrante,
Pour qu’elle n’allât pas aux ruines et restât.
Mais le capitaine pour l’emmener insista,
Et elle y fut avec lui. La chèvre blanche
Etait joyeuse comme un oiseau sur sa branche
En voyant sa sœur, et de la queue frétillait ;
Elle se frottait contre elle comme si elle suppliait,
Et la douce Césarine s’émut jusqu’aux larmes.
« Pourquoi pleures-tu et qu’est-ce qui t’alarme ? »
Demanda son père. « Ah ! père, je voudrais
L’emmener à la maison, cette chèvre, et la prendrais
Bien volontiers avec nous. » Répondit-elle.
Mais la chèvre, en voulant partir, était telle
Une statue de pierre, et ne pouvait bouger,
Ce qui n’était pas, tous deux, sans les affliger.
Quand ils furent rentrés à la maison ensemble,
La méchante femme demanda : « Il me semble
Que la chèvre n’est point là. Pour quelle raison
Ne l’avez-vous point fait venir à la maison ? »
« Elle ne veut pas venir, répondit le père,
Elle est effarouchée, mais demain j’espère
Que tu viendras avec nous, car tu l’aimeras
Et la voir, comme nous, je crois, te charmera,
Car elle te rappellera notre fille défunte. »
La belle-mère tenta, avec mille feintes,
De ne point y aller. Mais son tenace époux
S’écria : « Quoi ! de voir cette chèvre au front si doux
Qu’est-ce qui te retient ? Non, il faut que tu viennes. »
Elle alla avec eux aux ruines anciennes
En tremblant de peur. La chèvre, au lieu de bêler
En entendant son père et sa sœur l’appeler,
Et de venir, joyeuse comme à l’ordinaire,
Fuit sa belle-mère comme un loup sanguinaire.
« Ah ! dit le capitaine, c’est bien singulier !
Elle nous a vus hier et ne peut oublier
Que les autres jours elle nous a fait mille caresses ! »
Il alla tout seul aux ruines, et sans paresse
La chèvre venait le caresser en bêlant ;
Mais dès qu’elle voyait sa mère s’en allant,
Elle se cachait et semblait bien effrayée,
Alors qu’elle était très douce et bien égayée.
« Il faut, dit-il à sa femme tremblant de peur
Et qui souriait pourtant d’un sourire trompeur,
Qu’à cette chèvre tu aies fait quelque chose. »
« Moi ! répartit-elle, je suis bien morose
De vous entendre dire cela. Je n’ai point vu
Cette chevrette avant, et je n’ai jamais su
Qu’elle était dans ces ruines appesanties d’ombres. »
Ce jour-là encore, le père était bien sombre
En revenant chez lui sans qu’il ne pût emmener
Cette chèvre, pour la caresser et l’affener.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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