mardi 27 janvier 2015

Conte: Les petites Coudées (Partie IV)

CONTE: LES PETITES COUDÉES (PARTIE IV)


IV. La princesse Crépuscule et le Serpent vert

Malgré son serment, la princesse curieuse
Contemplait souvent la pièce d’eau mystérieuse,
Et maintes fois son œil, la sondant, s’y perdit.
La pensée que c’était un endroit interdit
Lui donnait envie d’y aller, et son cœur noble
Peinait à contenir son farouche trouble.
Un jour que la Chatte blanche alla voyager,
Crépuscule, au jardin, alla dévisager
La pièce dont elle était à peu de distance.
Elle succomba, malgré sa frêle résistance,
Au désir de la voir de plus près, se disant :
« Ah ! se retenir ainsi, toujours, est épuisant !
La Chatte blanche n’est point là, et ses serviteuses,
Les petites Coudées et grandes bruiteuses,
S’occupent à nettoyer le château et ranger
Et préparer, comme de coutume, à manger.
Allons à cette pièce d’eau, la maîtresse est partie
Et elle n’en sera point par ses fées avertie. »
Elle s’en approcha et, sur le bord, elle vit
Des feuilles de nénuphar que la brise ravit ;
Un serpent vert, rapide comme une hirondelle,
Sortit de l’eau et vint se mettre à côté d’elle.
Elle se recula, de peur, à l’autre arpent
De la pièce d’eau, mais le bienveillant Serpent
Lui dit d’une voix douce : « Ma belle princesse,
Avez-vous peur de moi ? Que cette crainte cesse,
Parce que je ne suis pas un farouche animal,
Et vous assure que je ne vous ferai nul mal.
Restez, je vous en prie. Dans cette solitude,
De causer j’ai perdu la douce habitude. »
Crépuscule, rassurée par ces propos, resta,
Car du sort du bon Serpent elle s’attrista,
Et ils devisèrent jusqu’à une heure tardive.
Le Serpent supplia pour une récidive,
Quand la princesse lui dit qu’il lui fallait partir.
A la Chatte blanche elle essaya de mentir,
Lorsqu’elle lui demanda : « Dites-moi, mademoiselle,
Où étiez-vous ? » « J’ai vu une fort belle oiselle,
Répondit-elle, et l’ai suivie bien longuement. »
« Je ne suis point stupide, quand une personne me ment,
Dit la Chatte blanche, je le sais sans peine ;
Je sens que votre bouche est de mensonges pleine,
Malgré ma défense et malgré votre serment,
Vous en avez trouvé le mystère alarmant,
Et vous êtes allée à la pièce d’eau proscrite. »
Elle dit à ses Coudées : « La princesse mérite
Une bonne punition, en ainsi souillant
Son serment. Que dans un bain de lait bouillant
Elle soit plongée. » Mille Coudées accoururent ;
Elles exécutèrent son ordre, puis d’une parure
Revêtirent la princesse qu’elles soignèrent de leur mieux,
Et qui jura encore, au nom de tous les dieux,
De ne plus retourner à l’étang. Malgré elle,
Et bien qu’elle fût emplie d’une peur réelle,
Elle céda à l’envie cruelle de retourner
A l’endroit où elle vit le Serpent séjourner,
Toujours rongée par sa curiosité violente.
Le Serpent, qui avait maigri, d’une voix dolente
Lui dit : « Princesse, je me croyais abandonné
Et de vous avoir fait très peur impardonné.
J’en étais bien chagrin et vous croyais colère. »
L’étrange Serpent et Crépuscule parlèrent,
Et elle lui raconta sa rude punition.
Elle s’oublia encore, et à la finition
De leur causerie, trouva la Chatte blanche irritée
Aux portes du château. « Je vous ai abritée,
Protégée et nourrie, mais vous êtes sans foi,
Et vous m’avez trahie en me jurant cent fois
Que vous n’allez point le faire, à mentir vaillante.
Vous serez plongée, cette fois, dans l’huile bouillante. »
La pauvre princesse en faillait bien mourir,
Et elle fut beaucoup plus longtemps à se guérir.
Un jour qu’elle était seule, elle vit paraître
Devant elle le Serpent vert qui alla forpaître,
Et dont la maigresse n’est plus à jalouser.
« Je suis bien malade, si vous vouliez m’épouser,
Lui dit-il, je serais guéri de mes affres. »
Crépuscule, qui souffrait encor de ses balafres,
Aimait bien le Serpent vert, mais elle refusa,
Et pour repousser sa proposition rusa.
Tous les jours il revenait la revoir, tenace,
Puis disparut. Malgré les cruelles menaces
De la Chatte blanche, Crépuscule décida
D’aller parler à son amant qu’elle dérida
En lui disant, à son sort compatissante :
« Vous m’êtes cher et je vous serai obéissante,
Au jour que vous allez vous-même nous choisir,
Je vous épouserai, si tel est votre désir
Qui vous guérira du mal qui vous tourmente. »
En entendant, joyeux, cette réponse charmante,
Le Serpent retrouva sa force et sa santé.
Tremblant d’être punie, le cœur épouvanté,
Crépuscule alla au château. A son approche,
La Chatte blanche la vit sans lui faire un reproche.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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