jeudi 7 juin 2012

La promenade du roi Harun Al-Rashid


La promenade du roi Harun Al-Rashid


Le calife Harun passait, radieux soleil
Emplissant Khorasan de ses rayons vermeils.
Haut sur son destrier comme les héros antiques,
Entouré de ses femmes et de ses eunuques,
Appesanti de soie et appesanti d’or,
Il reluit. On ne sait s’il sourit ou s’il dort
Car il bâillait souvent, plein de cet ennui sombre
Des conquérants amis des coups d’épée dans l’ombre
Qui avaient l’habitude, avant le rude combat,
De dormir dans la même tente que leurs soldats,
De boire, quand la soif les rendait livides,
L’eau de l’agile ruisseau dans leurs casques vides,
De n’avoir point d’autre foyer qu’un champ sanglant
Où ils dorment blessés et de fièvre tremblant
Les yeux à demi clos, après la bataille,
Et en entendant ce cri : « L’ennemi nous assaille ! »
Se réveillent, le sabre à la main, en sursaut,
Se cachant des flèches ou repoussant un assaut !

Harun s’ennuyait. Plus de combats, plus de guerres !
Ses ennemis, tremblant de sa fureur meurtrière,
Ont rendu les armes. Nul n’ose se révolter
Contre cet illustre héros de la Piété,
Archange terrible et que Dieu lui-même
Semblait envoyer, pour les châtier, aux hommes !
La lassitude rendait sombres ses yeux noirs
Qui ne voyaient pas ce peuple venu le voir,
Presque à genoux devant son roi redoutable.

Soudain un noir vieillard en haillons, semblable
A un coup de foudre, surgit de nulle part.
Le brave destrier, accoutumé aux dards,
Et qui souvent porta son hôte héroïque
Dans les champs de bataille, en défiant, stoïque
Comme son cavalier, les coups sans en frémir,
Se cabra violemment et il voulait fuir
Ce spectre silencieux dont la vue alarme.
Harun le retint avec ses deux mains fermes
Et pâle de colère, dit au sinistre manant :
« Misérable ! Hors de mon chemin, maintenant !
Ou cette épée que tu vois te coupera la tête. »
« Calife, de mon chemin éloigne ta bête. »
Répondit le fantôme, calme comme le Destin.
Harun descendit de son destrier hautain
Et dans ses yeux fiers on voyait la flamme
De l’enfer. Il hurla en montrant sa lame
Au superbe inconnu : « Sais-tu qui je suis ? 
Le lion se cache dans son antre et le tigre fuit
Lorsqu’ils voient de loin le bout de mon épée
Dans le sang de mille rois, mes ennemis, trempée.
Je suis Harun, fils d’Al-Mahdi. La vaste mer
M’obéit, tout ici-bas gémit de mes fers !
L’Iran, la Transoxiane, le Caucase, l’Ethiopie,
Se souviennent de mes coups. Et tous les peuples impies
Tremblent de mon courroux, le monde est mon champ clos,
Du Bosphore effrayé, que j’ai rougi, les flots
Sont appesantis par mes preux adversaires,
Aigle invincible, j’ai emporté dans mes serres
L’Egypte et la Syrie, l’orient et l’occident,
Et comme un foudre qui de l’azur tombe, ardent,
Sur les Byzantins et sur les Barmécides
Je suis tombé ! Le sang des vaillants Abbassides
Coule dans mes veines et de courage m’emplit,
Les Omeyyades des mes travaux ont pâli,
Par Dieu ! J’ai transformé l’univers en blessure !
Les corbeaux croassent déjà. Leur pâture
C’est toi, impertinent à mourir condamné !
Ne les privons pas de leur délicieux dîner.
Mais dis, tu dois être un brave ou un imbécile
Pour me parler ainsi. Qui es-tu ? » Tranquille,
De la bouche close du spectre silencieux
Nul mot ne sortit. Le roi, devenu furieux,
Tira son épée de son fourreau, fou de rage,
Et lui assena au cœur un coup si sauvage
Que même sa garde recula de terreur.

Comme de son doigt on ôte l’épine d’une fleur,
Le vieillard ôta cette épée de sa poitrine
Et la rendit, calme, à la main assassine
Du calife qui tremblait maintenant de tout son corps,
En lui disant : « Tu es Harun, je suis la Mort. » 



Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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