vendredi 5 juin 2015

Conte: Les trois crapauds

CONTE: LEs trois crapauds 

Une femme passa sa vie à se livrer
Aux plus sombres plaisirs et à s’en enivrer,
Toutes les fois qu’elle se voyait enceinte
Se faisant avorter pour effacer l’empreinte
Du vice que dans ses entrailles elle portait.
Elle le fit trois fois et s’en réconfortait,
Mais devenue plus âgée, cette misérable
Sentit le poids de ses jours déshonorables.
« Je suis une damnée et Dieu me punira !
Se répétait-elle ; quand ma vie finira,
L’enfer sera, hélas, ma demeure éternelle ! »
Assaillie de remords, la pauvre criminelle
Alla se confesser afin de recevoir
L’absolution de ses fautes, et fit son devoir
En disant au curé : « Je viens, malheureuse,
Me confesser à vous d’une faute affreuse
En espérant que Dieu me la pardonnera. »
« Et l’absolution son ministre vous donnera,
Répondit le curé. Dites-moi votre crime,
Espérez que notre Seigneur le supprime. »
Elle dit en tremblant et le cœur plein de foi :
« Je me suis fait, hélas ! avorter trois fois. »
« Ces péchés sont mortels, repartit le bonhomme,
Il faut vous retirer des infernales flammes,
Mieux vaut payer ici qu’en enfer expier.
Dieu a vu vos fautes et il va maintenant épier
Votre remords. Soyez à ses désirs soumise
Et allez me chercher sans tarder les chemises
Que vous avez portées pendant l’avortement. »
Elle courut et les apporta prestement,
Et il les secoua l’une après l’autre.
Comme les grains pesants tombent de l’épeautre,
Trois crapauds en tombèrent, qui se mirent à courir.
« Ce sont vos trois enfants que vous fîtes mourir,
Malheureuse ! cria le curé terrible.
Contemplez avec moi vos crimes horribles !
Ce premier crapaud qui est monté à l’autel
Devrait être un évêque, et, ô péché mortel !
Celui à la chapelle allé un savant prêtre,
Celui grimpant à la muraille allait être
Un peintre de génie. Vous avez privé d’eux
L’univers, à cause de vos forfaits hideux. 
Pour vous racheter voici votre pénitence 
Qui vous fera courir une longue distance :
A la fontaine d’Eau bénite allez remplir
Ce calice sacré. Vous devez accomplir,
Pour être pardonnée, un exploit ensuite,
Un dragon viendra ; ne prenez point la fuite,
Car avec cette épée vous allez le férir.
Si vous parvenez à lui couper sans périr
Une de ses sept têtes, c’est que Dieu vous accorde
Ici comme dans l’au-delà miséricorde,
Et il vous dévorera si c’est sa volonté. »
En implorant de Dieu l’éternelle bonté
Elle voyagea à une contrée lointaine
Et arriva enfin, lasse, à la fontaine.
Elle y vit le dragon affreux aux yeux brillants
Qui rugit, courroucé, formidable assaillant,
Comme le lion qui grogne et le tigre qui feule,
Et pour la dévorer ouvrit sa vaste gueule.
La malheureuse prit son épée sans trembler,
De toutes les forces qu’elle put rassembler
Elle lui assena de grands coups ; ô misère !
En vain à le frapper ses bras s’épuisèrent,
Trois énormes crapauds, comme des boucliers,
L’empêchaient de l’atteindre. A genoux pour prier,
Le sang de la pauvresse se figea dans ses veines
Et elle abandonna cette lutte vaine.
Elle suppliait les trois crapauds, ses enfants
Qui voulaient son ennemi, le dragon, triomphant,
De lui pardonner, mais ils étaient de glace.
Elle reprit ses forces et son épée, et lasse,
Frappa les trois crapauds railleurs qu’elle tua
Et à combattre le dragon s’évertua.
Sept sifflements furieux bientôt se firent entendre,
L’infortunée tomba sur le sol ; sans attendre,
Le dragon sur cette damnée qui l’implora
Se pencha, ouvrit sa gueule et la dévora.

[FIN DU CONTE: LES TROIS CRAPAUDS]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène 

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