CONTE: LE BOURGEOIS D'ABBEVILLE, OU LA HOUSSE COUPÉE EN DEUX (PARTIE IiI)
III. Comment le fils ingrat fut amené à regretter sa
cruelle décision
« Mon fils, que me dis-tu ? S’écria
le vieillard,
Aujourd’hui que tu es devenu un grand
gaillard
Et que tu jouis grâce à moi de toutes
tes aises,
Sans plaindre la sombre vieillesse qui
me pèse,
Tu te défais de moi comme d’un vieux
haillon !
Enfant, tu as relui comme un radieux
rayon
Dans mon cœur comme dans le cœur de ta
mère,
Et aujourd’hui, du sort ironie amère !
Tu me chasses comme un fripon et un
lépreux !
Puisque tu le veux, je te supplie, malheureux,
De ne point m’exposer à mourir de famine ;
Vois comme je suis faible et contemple
ma mine :
Je ne t’importunerai point, mon enfant,
longtemps,
Et tu seras bientôt de mon trépas
content.
Laisse-moi donc finir mes jours courts
et futiles
Chez toi, dans quelque coin sombre et
inutile.
Je ne te demande ni tes mets ni un lit,
Accorde à ton père qui soupire et pâlit
Et qui ne désire point faire ripaille,
Un peu d’eau, un peu de pain et un peu
de paille.
Que Dieu te pardonne, fils, ton péché
mortel !
Aucun père ne doit être traité comme tel,
Crains que notre Seigneur à jamais te
maudisse
Et qu’il ne te châtie pour cette
immondice
En te fermant, si tu me chasses de ton
toit,
Les portes de l’éden qu’il clora devant
toi. »
Ému par ce discours dont frissonna son
âme,
Le fils se rappela toutefois sa femme
Et ordonna à son vieux père de sortir.
« Où veux-tu que j’aille ? Où
pourrai-je partir ?
Répondit le prud’homme. Sans argent ni
ressources,
Je mendierai, non pour appesantir ma
bourse,
Mais pour avoir à boire et avoir à
manger !
Si mon fils me chasse comme un vil
étranger,
Nul ne me recevra, ô, sombres alarmes ! »
Le visage du père était baigné de larmes
Mais il prit le bâton qui l’aidait à
marcher
Et il dit à son fils : « Je
ne vais plus chercher
A t’attendrir ; ton cœur est dur
comme la pierre.
Pour que Dieu te pardonne je dirai des
prières,
Je ne veux qu’une chose, car dehors il
fait froid
Et puisque ton crime ne t’emplit point d’effroi,
Donne-moi une de tes robes, la plus
pauvre,
Pour qu’en sortant d’ici ce haillon me
couvre. »
Mais on lui refusa aussi cette faveur,
Et la femme, toujours méchante avec
ferveur,
Lui dit qu’il partirait aussi sans
monture.
Il demanda au moins l’une des
couvertures
Du cheval, et le fils, ne pouvant
refuser,
Dit d’aller apporter la housse au lin
usé
A son fils attendri des pleurs de son
grand-père.
Il n’avait que dix ans. Sa mère était
vipère
Mais il était pétri de bonnes qualités,
Comme je vous l’ai dit, et sans
frivolité.
Il coupa en deux la plus misérable
housse
Et donna au vieillard, d’une manière
douce
Et en l’embrassant sur la joue, une
moitié.
« Ah ! s’écria l’aïeul, noirs
ingrats sans pitié !
Vous voulez tous ma mort sans vouloir l’attendre ! »
Le fils gronda l’enfant, devenu plus
tendre,
D’avoir outrepassé ses ordres. Ce
dernier
Répliqua : « Pardon,
sire, vous voulez renier
Et tuer votre père dont la mort vous
tarde.
Je ne fais que suivre votre exemple, et
je garde
Cette moitié pour vous la donner, en
fils pieux,
Quand, comme grand-père, vous serez un
jour vieux. »
Ce reproche frappa au cœur le fils
coupable
Qui se jeta aux pieds du père misérable,
Battit sa femme au cœur mauvais et
inhumain,
Lui remit tous ses biens, comme jadis,
en main,
Et le traita avec respect et
bienveillance.
Pères, soyez plus sages. Ayez de la
méfiance.
Si vous avez aussi des enfants à marier,
Sachez qu’il ne faut point sur l’amour
tout parier,
Et, fussent-ils vos fils, qu’il ne faut
point dépendre
Des autres, ou vous aurez bien des
larmes à répandre.
[FIN DU CONTE: LE BOURGEOIS D'ABBEVILLE, OU LA HOUSSE COUPÉE EN DEUX]
Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène
|
La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
vendredi 15 mai 2015
Conte: Le Bourgeois d'Abbeville, ou la Housse coupée en deux (Partie III)
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Mon avis sur cet article: