jeudi 14 mai 2015

Conte: Le Bourgeois d'Abbeville, ou la Housse coupée en deux (Partie II)

CONTE: LE BOURGEOIS D'ABBEVILLE, OU LA HOUSSE COUPÉE EN DEUX (PARTIE Ii)


II. La proposition que les trois frères firent au bourgeois, et ce qui lui arriva par la suite

Dans la même rue où le bourgeois demeure
Il y avait trois frères qui à leurs jeunes heures
Etaient tous chevaliers, de leurs voisins aimés
Et pour leur valeur dans le quartier estimés.
L’aîné était veuf et avait une fille.
La pauvreté rongeait cette noble famille
Qui – le sort n’épargne ni rois ni roturiers –
Recourut aux offices des sombres usuriers.
La dette s’éleva vite à trois mille livres
Et ces gens devinrent à cause d’elle pauvres
Car leurs biens furent tous saisis ou engagés.
Il ne resta que sa maison à l’homme âgé,
Cette belle maison était un souvenir tendre
De sa femme, qu’il ne pouvait louer ou vendre
Car elle revenait à la jeune fille de droit.
En négociations resté toujours adroit,
Notre bourgeois alla, pour son fils plein de zèle,
Demander pour lui la main de la demoiselle ;
Les trois frères voulaient de sa bouche savoir
Quelle était sa fortune en argent et avoirs.
Alors il répondit : « Messires, je possède
Quinze cents livres en tout. Dès à présent j’en cède,
Avec un grand bonheur et sans inimitié,
La moitié à mon fils. Quant à l’autre moitié
De cette fortune loyalement collectée,
Il l’aura après ma mort, qui sera dictée
Bientôt par le destin à qui nul mortel chaut. »
« Noble sire, ce n’est pas là ce qu’il nous faut,
Reprirent les frères. Nous n’avons point de doutes
Sur votre bonne foi, mais laissez-la toute,
L’éphémère fortune et que vous possédez,
A votre fils. Car si un jour vous décidez
De devenir templier ou de vous faire moine,
Vous jugerez de donner tout au couvent idoine
Et vos petits-enfants s’en trouveront miséreux. »
Le bourgeois, qui trouva ce prix trop onéreux,
Refusa d’abord cette affaire criminelle,
Mais vaincu enfin par sa flamme paternelle,
Il consentit à se dépouiller de ses biens,
A tout donner à son fils et à n’avoir rien
Devant quelques témoins, hormis une écuelle
Pour déjeuner, et se mit, chose cruelle,
Dans la dépendance et dans l’éternel besoin.
Mais le pauvre croyait que de leurs aimants soins
Son fils et sa femme tous deux l’entoureraient
Et dans sa vieillesse morne qu’ils l’aideraient.
Les deux époux eurent un fils dont ils furent épris,
Qui crut en âge et qui annonça de l’esprit
Et maintes qualités bienveillantes et nobles.
Le vieillard, qui devenait de plus en plus faible,
Demeura, lui, tant bien que mal à la maison,
On l’y souffrait encor pour la seule raison
Qu’il rapportait des sous grâce à son industrie.
Mais les années ne lui firent point de flatteries,
Et, rendu inutile par les infirmités,
On sentit maintenant son incommodité.
La dame, qui était orgueilleuse et fière,
Ne pouvait le souffrir. Elle fit des prières
D’abord à son mari, puis le persécuta
Et le menaça si bien qu’il exécuta,
De peur qu’elle quittât la demeure conjugale,
Son dessein, et malgré ses peines prodigales,
Son âge et tout l’amour qu’il lui avait porté,
Alla dire à son père, fort peu réconforté,
L’ingrat ! de rechercher ailleurs un refuge
Sans s’attendrir sur son sort et sans subterfuges.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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