CONTE: LE SIÈGE PRÊTÉ ET RENDU
Certain comte,
nommé Henri, pour sénéchal
Avait un homme
dur, fort avare et brutal,
Dépité s’il
voyait son généreux maître
De faire l’aumône
à un hère se permettre,
Non par loyauté
ou zèle, mais le fripon
Escamotait souvent
vin, poulets et chapons,
Et allait s’empiffrer
seul dans la dépense
Comme un
pourceau, voulant garder sa récompense.
C’était son
caractère, et sa revêche humeur
Occasionnait souvent
de joyeuses clameurs,
Et quand des
étrangers arrivaient, des scènes
Fort divertissantes,
surtout pendant les cènes.
Mais tous
désiraient voir le bourru corrigé
Et comme il
affligeait les autres affligé.
Un jour Henri,
âme noble et généreuse
Qui faisait pour
les pauvres des dépenses onéreuses,
Annonça cour plénière
sans aussi oublier
Dans tout le
voisinage de le publier.
Chevaliers,
écuyers, dames, il vint un monde
Prodigieux, et
comme dans la mer profonde
Les flots se
déversent, dans le vaste palais
On venait en
faisant suer tous ses valets.
La fête est
somptueuse, les portes sont ouvertes,
Les tables sont
dressées, les humeurs disertes,
Et partout règne
la plus grande profusion.
Seul le sénéchal
est, dans cette confusion,
Jaloux et
maussade. « Ces bouches affamées,
Disait-il en
grondant et son âme alarmée,
Nobles ou roturières,
chevaliers ou bergers,
Viennent ici,
hélas ! à nos dépens se gorger.
Régalez-vous,
messieurs, puisque notre comte
Vous le permet
de bon cœur ; n’ayez point honte
De retourner
chez vous bien contents et saouls. »
Dans ce moment
entra, qui avait nom Raoul,
Un bouvier mal
peigné, malodorant et sale,
Qui pour manger
cherchait le chemin de la salle.
« Qui a
donc invité, cria l’ordonnateur,
Ce gredin à
venir ? par le saint Créateur ! »
« Eh !
parbleu, répondit le vilain, on régale ;
Je viens me
régaler. Votre ire m’est égale. »
Et en même temps
il demanda à s’asseoir
Car il n’y avait
nulle place vide ce soir.
Le sénéchal,
furieux d’entendre sa prière,
Lui assène un
grand coup de pied dans le derrière :
« Ma botte
est délicieuse, lui dit-il, mange-la,
Assieds-toi là-dessus et prend ce siège-là
Car c’est bien
volontiers que je te le prête. »
Cependant le
voici qui soudain arrête
De railler le
vilain et qui songe un moment
Que si le comte
apprend de sa bouche comment
Il l’a traité,
il en recevra des reproches.
Il lui cherche
donc un siège et une broche,
Et Raoul qui
riait, occupé à manger,
Songeait cependant
au moyen de se venger.
Dans la salle il
y avait, pour plaire à l’assemblée
Qui y était
venue après s’être attablée,
Force ménétriers
et beaucoup de jongleurs.
Henri avait
promis sa robe aux rouges couleurs
Et qui était
toute neuve et belle à décrire,
A celui d’entre
eux qui ferait le plus rire.
Tous donc se
surpassaient et redoublaient d’ardeur
Et voulaient
faire rire sans montrer de pudeur :
On voit les uns
conter des fabliaux, les autres
Chanter,
contrefaire l’ivrogne, se battre
Ou quereller
comme des femmes et des âniers
Et à imaginer de
bons tours s’ingénier.
Au milieu de la
salle, en main sa serviette,
Raoul riait de
tout son cœur, l’âme quiète,
Mais songeait au
moyen de punir le butor
Qui le traita si
mal, et réparer ses torts.
Le spectacle
fini, et bientôt ce conte,
Au sénéchal
debout auprès de son comte
Il donna au bas
du dos un grand coup de pied
En lui disant : « Je
suis honnête homme, et il sied
De vous rendre
votre siège sans attendre. »
Un cri dans l’assemblée
se fit là entendre
De voir tomber
et nez en terre le bourru.
Des domestiques
étaient, fort nombreux, accourus
Pour châtier le
vilain pour cette violence.
« Pourquoi
as-tu traité avec insolence
Mon officier ?
Réponds et ne me cache rien. »
Demanda le
comte. « Ce château n’est pas sien,
Lui répondit
Raoul, et pourtant cet homme
Se prend pour
vous, seigneur, paltoquet dans l’âme.
Je suis venu ici
car on m’avait conté
Qu’on fait bonne
chère grâce à votre bonté
Et que la porte
du château est ouverte.
Mais les autres
ont été plus que moi alertes,
J’ai donc prié
monsieur ici de me donner
Un siège, et j’ai
été, sire, bien étonné
De recevoir un coup
de pied dans le derrière.
C’est ainsi que
monsieur, entendant ma prière,
L’a exaucée, en
me disant bien poliment
Qu’il me prête
ce siège. J’ai eu le sentiment
Qu’il fallait le
lui rendre, et c’est chose faite,
Car j’ai mangé,
et c’est la fin de la fête,
Et je suis
honnête homme malgré ma pauvreté. »
Ce discours fit
rire, comme leur ivreté,
Tous les
spectateurs. Du sénéchal la colère
En se frottant
le bas n’était point sans plaire,
Et de le voir
puni on était fort contents.
On rit enfin si
fort et le fit si longtemps
Que la robe à
Raoul fut adjugée sans peine.
En s’en allant
le hère, l’âme de joie pleine,
Se disait : « Il
faut bien sortir de sa maison,
Selon le
proverbe qui, parbleu ! a raison
Pour faire
quelque chose dans notre bas monde.
C’est ce que j’ai
fait ; grâce à cet homme immonde,
J’ai cette bonne
robe que bien cher je vendrai.
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La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
samedi 16 mai 2015
Conte: Le Siège prêté et rendu
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