vendredi 17 avril 2015

Conte: Du Vilain qui gagna le Paradis en plaidant

CONTE: du vilain qui gagna le paradis en plaidant

Un vilain mourut, qui était si misérable
Et inconnu, que dans les cieux vénérables
Ainsi que dans l’Enfer, nul ne fut averti
De sa mort, et ne prit sur son sort de parti.
Je ne sais, mes seigneurs, comment se fit cela,
Mais ce dont je suis sûr est que dans l’au-delà,
Au moment où du hère vint l’heure dernière,
Nul ange ni démon ne vint, de manière
Qu’il était tout seul et tout tremblant, et partit
Sans guide, inquiet et de son sort inaverti.
Il pensa – c’est une chose bien naturelle –
Qu’il valait mieux, même au prix de mille querelles,
Aller au Paradis que mériter l’enfer,
Et voulut que l’éden lui fût enfin souffert.
Mais notre vilain ne connaissait pas la route
Et il contemplait les chemins, empli de doute,
Quand il aperçut de loin l’archange Michel
Conduisant un élu au Séjour éternel.
Sa joie de voir le saint ange était bien forte,
Il le suivit, sans rien dire, jusqu’à la porte.
Saint Pierre ouvrit à l’ange et à son compagnon,
Et à notre vilain qui avait le guignon
Ici et dans l’au-delà, dit : « Plat-ventre,
Nul au saint Paradis sans permission n’entre,
Et les vilains comme toi y sont malvenus. »
Le paysan s’écria au vieil homme chenu :
« Vilain vous-même ! Vous ne devriez pas être
Ici, après avoir renié notre Maître
Trois fois, et vous osez chasser de cet endroit
De plus honnêtes gens que vous, qui y ont droit !
Voilà une conduite peu digne d’un apôtre !
Vous gardez l’éden, mais il n’est pas le vôtre,
Vous ne méritez pas, ma foi, d’en être chef,
Et je ne sais pourquoi Dieu vous confie ses clefs. »
Pierre de ce discours étrange eut grand honte,
Il ne répondit point et en fit le conte
A saint Thomas, qu’il vit, avec de grands soupirs.
« Comptez sur moi, je vais vous faire déguerpir,
Lui dit-il, ce manant qui vous embarrasse. »
Il alla parler au vilain avec grâce
Et il lui demanda toutefois de partir
Et quitter le séjour des bons et des martyrs.
« Eh ! repartit notre vilain, qu’est-ce que vous faites
Au Paradis ? C’est une erreur si vous y êtes,
Vous qui n’avez pas cru à la résurrection
Et qui avez même touché – quelle sombre action ! –
Le ressuscité du doigt pour daigner y croire !
D’entrer ici je ne tire nulle gloire
Puisque les mécréants y sont bien accueillis. »
Thomas, de ce flot de vérités assailli,
Baissa la tête, et il s’en alla, bien preste,
Honteux et tout confus, sans demander son reste.
Il parlait à saint Pierre du hère qui les lassait,
Quand saint Paul, venu là par hasard, qui passait,
Entendit leurs plaintes et leur dit avec moquerie :
« De ce vilain je vais punir la loufoquerie.
Vous ne parlez pas bien, et je fais le serment
De chasser ce manant qui vous semble alarmant. »
Il s’avance donc, fier, et prend le pauvre hère
Pour le chasser par le bras, sombre et sévère.
Le villageois lui dit : « Ces airs sont bien les tiens !
Parce que, persécuteur ou espion des chrétiens,
Tu as toujours été un tyran sans scrupules.
Et c’est moi que tu oses traiter comme crapule !
Dieu a dû bien peiner, chauve, à te corriger,
Et ta sombre conduite ne peut que l’affliger.
Frappe-moi, si tu l’oses, que rien ne te retienne !
Je ne suis point parent de ce bon saint Étienne
Et de ces honnêtes gens que tu as tués,
Mais je te connais bien, despote infatué. »
Saint Paul ne put rien dire au vilain plein de verve.
Il résolut d’aller se plaindre sans réserves
Au sujet du manant, au Père Éternel.
Pierre, le chef, parla à Dieu du criminel,
Demanda justice et déplora l’insolence
De ce vilain qui leur fit aux trois violence.
« Je vais lui parler moi-même », dit alors Dieu.
Il apparut au même instant, grand et radieux,
Au manant à qui il demanda sans colère 
Pourquoi il osa aux trois apôtres déplaire
Et devant la porte du Paradis se tient.
Le vilain, en voyant que le Seigneur lui vient,
Se met à genoux et lui dit : « Comme tous les hères,
Vous m’avez fait naître, Sire, dans la misère,
Je ne m’en plains pas ; mais je vous suis demeuré
Toujours fidèle, j’ai prié et j’ai pleuré,
J’ai cru à l’Évangile, et malgré ma peine,
Ma maison de pauvres a toujours été pleine,
Que j’ai nourris avec mon pain durement gagné.
Puisque venir à moi vous avez bien daigné,
A votre jugement je me soumets, mon Maître,
Et j’espère que vous allez me permettre
De séjourner ici, ô, clément Créateur !
C’est une chose que disait notre pasteur :
Celui qui naît et qui meurt bon, il mérite
Le Paradis, et que cela ne vous irrite :
En m’appelant vous m’y faites déjà entrer ;
M’y voilà, j’y reste et je vais m’opiniâtrer,
Car vous avez dit : il est entré qu’on l’y laisse.
Sire Dieu, vous êtes grand et sans faiblesses,
Et à votre parole vous ne pouvez manquer. »
« En effet, dit Dieu, tu l’as bien fait remarquer.
Va au Paradis, il sera ta récompense,
Et tu l’as gagné en plaidant ce que tu penses. »


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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