vendredi 3 août 2012

Les songes de saint Patrice (deuxième partie)


Les songes de saint Patrice (deuxième partie)



II

Il fut, en Irlande, vendu comme esclave
A un chef de l’Ulster, homme mauvais et brave.
Il avait des chaînes et n’avait que vingt ans
Et de sa jeunesse son maître était content
Et dit en l’achetant : « En voilà une belle affaire ! »
Le blond Patrice devint son esclave qui va traire
Ses vaches, nettoyer sa demeure et chercher
Du bois en hiver, et son fidèle porcher,
Et celui dont jadis la pourpre romaine
Fut le pompeux habit, s’habilla de chaînes
Et pour seul costume avait un rude sayon.
Il se souvenait de son enfance aux doux rayons,
De ses exploits, de ses forfaits et de ses gloires,
Quand il était seul dans l’obscurité noire,
Et se rappelait tour à tour, aux mornes saisons,
Ses douces amours et ses sombres trahisons.
Le passé reluisait comme un vaste rêve,
Ô, volages délices, ô, joies tristes et brèves !
Dans son esprit par les souvenirs tourmenté,
Ces amours, ces duels, ces rayons, ces beautés
Hurlaient comme des spectres ; rêveries éphémères,
Plumes noires qui tombent de l’aile de la chimère !
Hormis le froid et la pesanteur du fardeau
Qui tous deux courbaient du jeune esclave le dos,
Hormis le bâton qui châtiait sa paresse,
Hormis l’hiver gelé aux rauques caresses,
Rien n’existait plus et rien n’était plus réel.
Maintes fois Patrice dormit sous le ciel
N’ayant que des roseaux humides pour couverture,
De l’avoine délayée dans l’eau pour nourriture,
Pour refuge une caverne, la pierre nue pour lit,
Maintes fois dans la nuit il pleura et pâlit.
Mais Dieu, même dans la solitude sombre,
Fait reluire sa douce aurore dans l’ombre.
Patrice n’avait jamais prié. Et pourtant, doux,
Il ploya, une nuit, devant Dieu ses genoux
Et dit : « Seigneur, de me pardonner je vous prie,
Seul dans les ténèbres et loin de ma patrie,
J’ai tout perdu : famille, amis et liberté.
Comme un ennemi, je vous bravais avec fierté
Et je me révoltai contre vous, plein de rage,
Ô, maître tout-puissant, magnanime et sage !
Je contemplais avec dédain le firmament,
Je vous voyais et je vous défiais sombrement
Comme un ver de terre défierait une montagne !
Vous m’avez châtié en m’envoyant à ce bagne
Et c’est un châtiment juste et mérité,
Car mon exil a pour cause ma témérité !
J’aurais pu périr par le glaive ou dans les ondes,
Mais vous êtes clément. De mes erreurs profondes,
Devant votre fils mort pour nous je me repens.
Seigneur, ma vie passée n’était qu’un guet-apens,
Toutes ces douces joies, tous ces affreux délices,
N’étaient que des douleurs, n’était que des supplices !
Les chaînes de ces barbares appesantissent mon corps,
Hélas ! Mon cœur porte un fardeau de remords
Mille fois plus lourd que leur fardeau d’écorces,
Pour le porter je n’ai point assez de force,
Mais je m’en remets à vous, ô, Dieu tout-puissant !
Et aux arrêts du ciel qui me voit je consens ;
Pardonnez à votre fils égaré, mon père,
Qui, courbé devant vous, vous implore et espère
Son éternel salut, de son sort affligé.
Et Patrice soudain se sentit soulagé
Quand il eut fini sa prière éternelle,
Et il sentit dans l’ombre une lueur fraternelle
Apparaître et reluire uniquement pour lui,
Radieuse, pareille à un jour qui jamais ne fuit,
Divin flambeau porté par la main de l’abîme,
Embrasé par un feu profond et sublime.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

2 commentaires:

  1. Patrice, ce personnage à la fois sensible et fort ,représente des valeurs humaines universelles touchant à la vie intime de l individu et à la vie communautaire au sein de la société..Il envisage le changement constructif ..

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  2. C'est exactement de cette manière-là que j'envisage ce personnage. Bien vu!

    Cordialement,
    M.Yosri

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