vendredi 27 juillet 2012

La tristesse de Cupidon


La tristesse de Cupidon


 Cupidon s’en alla voir sa divine mère
Et lui dit, le cœur triste et la voix amère,
 En se cachant de l’œil radieux de Jupiter :
« Soyez bénie, mère qui régnez aux éthers
Sur les cœurs des dieux, comme moi sur les cœurs des hommes.
On vous adore en Grèce, on vous adore à Rome,
Dans mille lieux différents, sous mille noms différents,
Et quand un mortel d’une mortelle s’éprend,
Il vous dit des prières et il vous conjure
D’être aussi clémente que vous êtes pure,
Et chante doucement, de sa lyre armé,
Votre nom adoré et son nom bien-aimé.
Vous m’avez sauvé de la sombre colère
Du frère tout-puissant de mon belliqueux père
En me cachant dans les bois, loin des rayons,
Où je m’abreuvais du sang des nobles lions
Et où je suçais le lait des clémentes louves,
Et pour que Jupiter jamais ne me trouve,
Aux bêtes de la nuit vous m’avez confié,
Et pour que je vive, vous l’avez défié.
Devenu fort, armé de mes flèches magnanimes,
L’univers s’est empli des cris de mes victimes ;
Comme vous on m’adore, comme vous on me craint,
J’emplis tous les cœurs de flamme et d’amour sans frein,
Maints hommes et maintes femmes de mes coups se souviennent,
Comme dans les manoirs les apparitions anciennes,
Quand j’apparais on tremble, et les amants rêveurs
Tristes et éplorés, me supplient avec douceur
D’attendrir le cœur d’une insensible amante
Comme l’océan cruelle, comme l’aurore charmante !
Mais aujourd’hui, mère, je crois que les humains
Sont devenus farouches, fussent-ils grecs ou romains.
Comme de son doigt on tire une épine chétive,
Ils tirent de leurs cœurs mes flèches captives
Et ils me sourient sans que je sache pourquoi.
Pour qu’ils s’aiment, j’ai maintes fois vidé mon carquois,
Mais ils préfèrent, tous ces mortels infâmes,
Les baisers des épées aux baisers des femmes ;
Les animaux étaient plus doux et plus soumis
Et plus que les hommes de mes coups ont gémi !
Ô, à moi le cyprès, à moi l’arc de frêne !
Cet arc doré est trop mou pour qu’ils s’éprennent
D’un sourire, ou pour qu’ils gémissent d’une amour ! »

Vénus soupira et dit à son fils : « Le jour
De ce siècle est plus sombre que le jour du nôtre.
Les mortels sont épris des guerres et des meurtres,
Ils rient des poètes et ils rient des amoureux,
Quand ils sont triomphants écrasent les malheureux
Et quand ils sont vaincus maudissent notre famille
Et envoient des flèches au soleil qui brille.
Nous ne sommes dans leurs bouches qu’un infâme juron
Et pour nous prier ils ne courbent plus leurs fronts ;
N’en doute point, mon fils chéri, et désespère,
Ce siècle maudit est le siècle de ton père. »


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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