jeudi 26 juillet 2012

Les larmes d’Omar


Les larmes d’Omar


 Le calife Omar, le pèlerinage finissant,
S’en retournait avec ses hommes à Baysan.
Montés sur leurs chameaux, ils étaient sans armes
Et vêtus de blanc, seuls dans le désert énorme ;
Car qui est l’insensé, spectre, bête ou bandit,
Qui oserait attaquer, par le ciel maudit,
Ces guerriers toujours prêts à la guerre, qu’on nomme
Hamza, tueur de lions, Khaled, tueur d’hommes,
Et Omar, le juste, le brave, le géant,
L’arbitre inspiré, commandeur des croyants ?
Tout vieillard qu’il fût, on le craignait encore,
De sa fougueuse jeunesse restait un peu d’aurore
Qu’on voyait reluire dans ses grands yeux noirs,
Lueur crépusculaire qui annonce le soir
D’une vie auguste et de travaux pleine.

Le vaillant cortège, passant près d’une plaine
Déserte comme le lit d’une veuve, et sans hameaux,
Le calife arrêta son rapide chameau
Et se mit, comme s’il cherchait quelque chose,
A contempler doucement le désert morose.
Ses hardis compagnons, pressentant un hasard
Ou pour ne point marcher devant le preux vieillard,
S’arrêtèrent aussi, sans qu’il parlât, d’eux-mêmes.
Omar rêvait et il était devenu blême
Comme un hiver. Khaled lui dit : « Miramolin,
De goules et de dangers ce noir désert est plein,
Mais si vous le voulez, reposons-nous dans l’ombre,
Nous marcherons pendant des heures sans nombre,
Mangeons et buvons un peu, quand l’aube viendra
Nous partirons. » Omar, baissant la tête, pleura.
Larmes mystérieuses d’un homme redoutable !
« Qu’est-ce qui vous fait pleurer ? Quel souvenir effroyable,
Seigneur, de vos yeux fait tomber ces sombres pleurs ? »
Lui demanda Khaled, surpris de sa douleur.
Et Omar répondit : « Les années farouches
Ont blanchi mes cheveux, et je n’ouvre la bouche
Que pour dire des prières, sourire et pardonner.
Jadis, dans ces vastes plaines, je vis rayonner
Quand je  levai la tête, la clémente lune.
Esseulé dans la nuit, assis sur ces dunes,
Je chantais des vers et je mangeais mes dieux
Et j’attendais de voir le soleil radieux
Se lever, pour que je revinsse à la ville.
Dans ce désert immense et comme mon cœur tranquille,
De mon père, Al-Khattab, je gardais le troupeau,
Homme sévère qui me tenait de rudes propos
Comme si j’étais, au lieu de son fils, son esclave.
Quand j’étais fatigué, croyant que je le brave,
Il me battait, enfant frêle, avec courroux,
Et dans l’ombre oublié, je pleurais de ses coups.
Maintes fois, pour quelque maigre bête égarée,
Il me laissait la nuit, victime abhorrée,
Sans nourriture, sans en priver ses animaux,
Et plus que son enfant, il aimait ses chameaux
Et ses richesses dont il est épris et qu’il cache.
J’aurais pu en devenir injuste ou lâche,
Mais j’en devins brave. Ô, si vous croyez en Dieu,
Soyez doux, pardonneurs et miséricordieux !
Aimez vos enfants et aimez aussi vos femmes,
Car les balafres du corps restent dans l’âme,
N’opprimez pas les faibles par les puissants honnis,
Aimez et pardonnez, et vous serez bénis. »


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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