mardi 15 mai 2018

Les Étrangers

Les étrangers

Philémon et Baucis, morts dans leur chaumière,
S’enlacent comme deux amants dans la lumière
Que l’Aurore attendrie et le Soleil heureux
Par l’humble fenêtre viennent verser sur eux.

La Nature, qui les protège des bêtes,
Contemple avidement les sublimes squelettes
De ces vieillards épris et mariés dans la mort.
Leur hospitalité les a sauvés du sort
Qui a frappé toute l’humanité impure
Par les mains de Jupiter et de Mercure ;
L’amour était leur vie et il est leur destin,
Ils se sont réveillés tous les deux, un matin :
Philémon, embrassant la main de sa femme,
L’a appelée sa deuxième aurore et son âme,
Et la pieuse Baucis, embrassant le front sec
De son mari, tel le marbre d’un temple grec,
L’a appelé le soleil de sa pauvre demeure.
Philémon lui a dit : « Maintenant, il faut qu’on meure.
Nos dieux, que nous avons priés à genoux,
Après la mort aussi seront cléments pour nous. »
Et enlacés, devenus un seul être énorme,
Leur amour est resté, essence sans forme
Et parfum sans flacon embaumant l’univers,
Rimes d’un éternel poème, strophes, vers.

Et aujourd’hui, qui des deux vieillards suit l’exemple ?
Qui de sa demeure fait le divin temple
De l’Hospitalité que bénissent les dieux ?
Qui à des martyrs qui fuient des tyrans odieux
De sa maison, de son cœur, ouvre la porte ?
Dans la chaumière des deux vieillards, elle est morte,
L’Hospitalité, la douce Hospitalité !
L’étranger ! apporté par la Fatalité !
L’étranger ! mon ennemi, et non mon semblable !
L’étranger ! c’est Satan ! l’étranger, c’est le diable !
L’étranger ! Ce fléau, ce violeur triomphant
De nos femmes, de nos mères, de nos enfants !
Qu’il meure en mer avant de souiller mon rivage,
Son sort m’indiffère, ce n’est qu’un sauvage
Qui s’en prend à mon vin, qui s’en prend à mes mœurs,
Et mon Europe se portera mieux s’il meurt !
Qu’il aille donc ailleurs trouver un refuge !
Hélas ! s’ils étaient en vie, combien de déluges
Mercure et Jupiter feraient sur nous pleuvoir !
Quel horrible monde qu’ils n’oseraient pas voir 
Qu’un monde dans lequel un étranger souhaite
La mort d’un étranger comme lui qui l’embête !

Vieillards vénérables dont nul ne se souvient,
Philémon et Baucis, vous êtes morts pour rien.


Par : Mohamed Yosri Ben Hemdène

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