dimanche 9 août 2015

Conte: Harpalionu

CONTE: harpalionu

Un âne que les faix de l’homme importunent
Se mit en tête un jour d’aller faire fortune.
Le voilà donc qui rompt son licol et court, court,
Des oiseaux du printemps entendant le discours,
Dans la vaste prairie d’elle-même amoureuse.
Il y avait maints chardons, l’herbe était savoureuse,
Le soleil dans le ciel était doux et radieux,
Et notre compagnon brayait tant, si joyeux,
Qu’un lion curieux vint voir d’où venait ce vacarme.
Il trouva notre âne, comme objet d’un charme,
Qui dansait et sautait, par la joie bâtonné,
Et il lui demanda, de le voir étonné,
Car il n’avait jamais vu bête pareille :
« Comment t’appelle-t-on ? » Il leva ses oreilles
Et il lui répondit : « Je suis Harpalionu. »
« Harpalionu ? » « Oui. » « Ton nom m’est inconnu,
Tes oreilles sont si grandes et ta peau si épaisse !
Je n’ai jamais vu des bêtes de ton espèce ;
Quelle est ta force ? Et es-tu au-dessus des lions ? »
« Oui, je suis plus fort qu’eux. Quel fauve en rébellion
Oserait me braver, sire, sans épouvante ? »
« Mon ami, dit le lion, je crois que tu te vantes,
Et j’en serai, si c’est le cas, bien irrité.
Mais si ce que tu me dis est la vérité,
Pour que cette pâle forêt de nous tremble,
Il faut faire un traité et pactiser ensemble
Pour nous liguer contre les autres animaux. »
« Je veux bien. » dit l’âne. Et marchant sous les rameaux,
Les voilà partis tous deux, âmes aventurières.
Il fallut traverser une grande rivière :
D’un son, le lion atteint la rive. Et le baudet
Nageait si mal, et si maladroitement rôdait,
Qu’il faillit se noyer. Mais voilà qu’il arrive,
Après avoir fait mille efforts, à la rive.
Étonné de le voir à ce point maladroit :
« Tu ne sais pas nager ? dit le lion, cet endroit
Est pourtant paisible, et il n’y a point d’ondes. »
« J’ai nagé dans des eaux deux fois plus profondes,
Lui dit l’âne, voulant passer pour un héros,
Mais ma queue a pris un poisson si gros, si gros
Qu’il me faisait foncer. Je l’ai chassé, ensuite,
Pour ne point tarder l’ai laissé prendre la fuite. »
De cette réponse le lion se contenta
Et vers la route avec son ami s’orienta.
Ils virent bientôt tous deux une muraille :
Le lion brave et qui n’a point peur aux entrailles
Le franchit d’un seul bond. Le baudet malheureux
En souffrit, lui, comme d’un long supplice affreux,
Il leva deux pattes comme un vieux sa canne,
Et par un prodigieux effort, le pauvre âne
Réussit à monter sur le mur, sans pouvoir
Aller ou reculer. Étonné de le voir
Aussi gauche qu’avant : « Que fais-tu encore ?
Et pourquoi gémis-tu comme une pécore ? »
Lui demanda le lion, de nouveau stupéfait.
« N’avez-vous pas vu, lui dit-il, ce que j’ai fait ?
Je me pesais pour voir  quelle de mes parties
Est plus lourde que l’autre. » « Eh bien ! ta répartie
Ne me convainc pas, et je crois que tu me mens.
Tu es faible et je te punirai durement. »
« Faible ? le croyez-vous ? Parions à qui jette
Cette muraille par terre et la rendra miettes. »
Le lion donna des coups de pattes dans le mur,
Mais il se blessa, et ses efforts futiles
Etaient, malgré toute sa force, inutiles.
Il s’arrêta. L’âne le vit soudain pâlir
Et il lui dit : « Ce mur, je peux le démolir. »
Et il se rua avec une telle violence
Qu’en peu d’instant il le fit sans indolence.
« Ne suis-je pas plus fort que vous ? » dit-il, content.
« De démolir ce mur j’ai essayé longtemps
Et je n’ai pas pu, moi que les bêtes vénèrent ! »
Et l’âne d’ajouter : « C’est chose ordinaire,
De mes autres talents vous seriez étonné. »
« Que sais-tu faire aussi ? » « Sans être passionné,
Je peux, si je le veux, manger des épines. »
« Des épines ?  Te voir le faire me mine ! 
Montre-moi donc cela. Puissant ami, pardon ! »
Harpalionu tondit devant des lui des chardons.
Quand il finit : « Tu es bien extraordinaire !
S’écria le lion, et de mes congénères
Je te nomme le roi. » « Merci, lion, je veux bien,
Car à mes bons amis je ne refuse rien. »
Les lions de la contrée tous se réunirent,
Jurèrent allégeance à leur roi et le bénirent.

Harpalionu régna longtemps et justement
Sur ses nombreux sujets qui vivaient fastement
Car il ne les privait jamais de leur chasse.
Mais comme la santé la jeunesse passe,
Harpalionu devint fort malade et fort vieux,
Et on l’enterra, à sa mort, aux mêmes lieux
Qui le virent régner jadis, en grande pompe.
Les forêts, comme d’un immense son de trompe,
Retentirent, bon roi et de tous adoré,
Des hurlements de ses sujets endolorés.


[FIN DU CONTE: HARPALIONU]




Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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