dimanche 24 mai 2015

Conte: Les deux Bourgeois et le Vilain

CONTE: les deux bourgeois et le vilain

Deux bourgeois ensemble partirent en pèlerinage.
Un paysan qui était à leur voisinage
Et qui avait le même dessein, invité d’eux,
Les accompagna, mais leurs provisions pour deux
Suffisaient à peine, avec eux pèlerines,
Et il ne leur resta qu’un peu de farine
Après deux ou trois lieues, ce qui était bien vain
Et ne servirait à faire qu’un petit pain.
Fourbes, les deux bourgeois alors complotèrent
De le partager entre eux deux, se révoltèrent
D’en donner au vilain, et songèrent au moyen
De duper ce hère dont ils était doyens,
Se croyant plus malins et pleins de ressources.
« Nous n’avons pas pensé à remplir nos bourses,
Et elles sont maintenant vides, dit un radin
Acquiescé aussitôt par l’autre citadin ;
Il nous reste un pain et deux lieues dans cette brune,
Non pour deux bouches mais pour en rassasier une,
Et que le pain soit pour un seul je suis d’avis.
Pour que nul ne se fâche et qu’on soit tous ravis,
Voici, mes amis, ce que je vous propose :
Il est fort tard et il faut qu’on se repose,
Couchons-nous en ce lieu bien serein et rêvons.
Qu’on adjuge le pain, lorsque nous nous levons,
A celui qui aura fait le plus beau rêve. »
L’approbation de l’autre camarade fut brève
Et il applaudit à cette idée qu’il trouva
Lumineuse, et même le vilain l’approuva
Et feignit de donner pleinement dans le piège.
Avant de reposer le dos sur un liège
On fit le pain, le mit cuire et on se coucha.
La cupidité en ces lieux les aboucha,
Mais nos bourgeois étaient si las qu’ils s’endormirent
Comme des loirs, et même à ronfler se mirent.
Le manant, plus malin qu’eux, qui songeait comment
Manger le pain, n’épiait que cet heureux moment,
Il se leva sans bruit, sans laisser une miette,
Mangea le pain et se coucha, l’âme quiète.
Un bourgeois s’éveilla et, fourbe, s’écria
Qu’il fit un sombre rêve que d’entendre il pria
Ses camarades : « Amis, transporté par deux anges,
Leur dit-il, suspendu sur l’abîme étrange,
Sans y être plongé, du grand feu éternel,
J’ai entendu gémir les pécheurs criminels... »
« Et moi, reprit l’autre, j’ai songé que la porte
Du firmament m’était soudainement ouverte.
Les archanges Michel et Gabriel, radieux,
Sont venus me conduire jusqu’au Trône de Dieu,
Et j’ai été témoin de son auguste gloire. »
Et ils commencèrent, dans les ténèbres noires,
A dire les merveilles ainsi que les tourments.
Le vilain entendait leurs propos en fermant
L’œil et en feignant de dormir et qu’il songe,
Alors qu’il se riait de tous leurs mensonges.
On vint le réveiller, et lui il fit semblant
D’être effrayé, et il s’écria en tremblant :
« Qui est là ? » Les bourgeois au sommeilleur blême
Demandent de conter son rêve. Au moment même
Il leur répond : « Ah ! j’en ai fait un singulier
Et que toute ma vie ne vais point oublier :
J’ai vu des anges vous transporter sur leurs ailes,
L’un en enfer, l’autre au paradis avec zèle.
De vous avoir perdu après avoir rêvé
J’étais sûr, et ma foi, de mon sommeil levé
Et croyant que mon songe était prémonitoire,
J’ai mangé le pain à la fin de cette histoire. »

[FIN DU CONTE: LES DEUX BOURGEOIS ET LE VILAIN]



Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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