lundi 25 mai 2015

Conte: De sire Hain et dame Anieuse

CONTE: de sire hain et dame anieuse

Qui a mauvaise femme nourrit mauvaise bête
Et qu’à garder chez lui, messires, il s’entête :
Voilà ce que notre fabliau veut prouver
Que beaucoup de maris instructif vont trouver.

Sire Hain raccommodait les manteaux et les cottes
Et il y excellait ; sa femme qui tricote
Seulement les querelles, toujours l’infortunait
Et désobéissante elle l’importunait,
Créature méchante et aussi délurée.
S’il voulait des pois, elle faisait de la purée,
Et quand il demandait de la purée des pois,
Et dictait pour les autres objets la même loi.
Le résultat était, chose bien naturelle,
Du matin jusqu’au soir de violentes querelles.
Beaucoup de poisson, un jour, était arrivé
A la halle, et Hain qui en fut longtemps privé,
Espérant qu’il serait propice à sa bourse,
Dit à son Anieuse d’aller faire la course
Et de lui en acheter avant qu’il fût vendu.
Anieuse répondit doucement : « Entendu.
Mais dites-moi d’abord, avant que je ne sorte :
Votre poisson, vous le voulez de quelle sorte ?
Est-ce un poisson d’eau douce ou un poisson de mer ? »
Surpris, car elle le rendait toujours amer,
De cette obéissance et sollicitude
Qu’Anieuse ne montrait jamais d’habitude,
Il répondit : « De mer ». Preste comme un renard,
Elle sort et achète bientôt des épinards
Qu’elle amène au logis, la mégère infâme.
« Parbleu, vous êtes vite revenue, notre femme,
Dit Hain en la voyant, de son retour content,
Vous n’avez pas été au marché très longtemps ;
Je vais me régaler, c’est une chose vraie !
Est-ce du chien de mer, Anieuse, ou de la raie ? »
« Fi donc, dit-elle, avec votre poisson pourri !
Vous maigrissez et vous me semblez mal nourri,
Et vous voulez qu’en plus je vous empoisonne !
C’est la pluie qui contre vous, beau sire, raisonne,
Car elle a fait tourner votre poisson hier.
De ne point l’acheter soyez donc de moi fier. »
« Quoi ? fit Hain, le poisson est frais, imbécile. »
« Te contenter n’est pas, hélas, chose facile !
Repartit Anieuse, tu es toujours fougueux ;
J’en perds ma patience. Tiens ton assiette, gueux,
Va acheter ton dîner toi-même et l’accommode. »
Elle jeta l’assiette et comme de mode
Ils se querellèrent longtemps en s’insultant
Et en jurant, l’un de l’autre se révoltant.
Las de crier, enfin, Hain dit à Anieuse
En quittant soudain son humeur acrimonieuse :
« Comme chat et souris nous nous pourchasserons
Et de vouloir régner jamais nous nous lasserons.
Mais il faut en finir et que tu m’écoutes :
Pour prendre un parti une bonne fois pour toutes
Et savoir qui est le maître de la maison,
Au lieu de recourir, Anieuse, à la raison,
Je te propose autre chose que la parlotte. »
Et là-dessus il prit une vieille culotte
Et il lui proposa de la lui disputer
Pour savoir qui est le maître sans chahuter
Et régnera toujours, ainsi, sur le ménage.
Elle consentit. Deux gens du voisinage,
Témoins de leur combat pour tenir le timon,
Vinrent, commère Aupais et le voisin Simon.
On leur expliqua tout, et notre mégère
Leur dit : « La chose, mes amis, n’est point légère ;
Vous serez nos juges, à vous d’épier et de voir
Et de faire comme nous deux votre devoir. »
Simon, qui vit que rien ne calmerait leur ire,
En faisant de son mieux pour ne point en rire,
Interdit aux champions alors de se servir
D’autre arme que leurs mains, les laissa assouvir
Leurs vengeances, et alla avec la commère
Surveiller ces guerriers qui s’y conformèrent.
La cour, champ de bataille pour ces ennemis d’airain,
Etait vaste et offrait un propice terrain.
Anieuse, plus traître que Hain et plus mutine,
L’insulte la première, et la diablotine
Commence le combat par quelques coups de poings
Que son mari à lui rendre n’hésite point,
Puis elle saisit la culotte qu’il empoigne ;
Chacun tire à soi et de l’autre s’éloigne,
Et elle se déchire en deux morceaux. Chacun,
En qualifiant l’autre de lâche et de faquin,
Se les dispute, sans être las de combattre,
Et bientôt ces morceaux se déchirent en autres
Et les lambeaux volent et emplissent la cour.
Anieuse, dont la ruse lui apportait secours,
En se battant trouve fourbement la manière
De saisir sire Hain soudain par la crinière,
Et était sur le point, ainsi, de l’emporter.
Aupais ranimait son courage et sa fierté,
Mais Simon, juge austère, lui cria silence
Et la menaça de lui faire violence
Si elle osait encor son soutien lui montrer.
Des mains de sa femme Hain put se dépêtrer
Et la poussa avec une grande colère.
Les lambeaux de sa main alors s’envolèrent,
Elle cogna contre le mur et, sans fardeau,
Recula et tomba dans un baquet plein d’eau.
Hain la quitte et ramasse, victorieux, ce qui reste
De la culotte, et le montre aux juges, preste
D’être reconnu comme le vainqueur du combat.
Anieuse cependant qui au baquet tomba
D’appeler Simon à son secours fut obligée.
Mais le voisin dit à la mégère affligée
Que pour l’en sortir il lui fallait obéir
Toujours à son mari et ne plus l’assaillir.
Elle accepta et fit ce qu’on attendait d’elle,
Après sa guérison au traité fidèle,
Elle ne contredit jamais plus son mari
Et lui obéit sans avoir le cœur marri.

Quant à vous, messieurs qui entendez mon histoire,
Il vous faudra une semblable victoire
Si votre femme est comme la femme de sire Hain ;
N’attendez pas comme lui pour vivre sereins.

[FIN DU CONTE: DE SIRE HAIN ET DAME ANIEUSE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Mon avis sur cet article: