CONTE: de sire hain et dame anieuse
Qui a mauvaise
femme nourrit mauvaise bête
Et qu’à garder
chez lui, messires, il s’entête :
Voilà ce que
notre fabliau veut prouver
Que beaucoup de
maris instructif vont trouver.
Sire Hain raccommodait
les manteaux et les cottes
Et il y
excellait ; sa femme qui tricote
Seulement les
querelles, toujours l’infortunait
Et désobéissante
elle l’importunait,
Créature méchante
et aussi délurée.
S’il voulait des
pois, elle faisait de la purée,
Et quand il
demandait de la purée des pois,
Et dictait pour
les autres objets la même loi.
Le résultat
était, chose bien naturelle,
Du matin jusqu’au
soir de violentes querelles.
Beaucoup de
poisson, un jour, était arrivé
A la halle, et
Hain qui en fut longtemps privé,
Espérant qu’il
serait propice à sa bourse,
Dit à son
Anieuse d’aller faire la course
Et de lui en
acheter avant qu’il fût vendu.
Anieuse répondit
doucement : « Entendu.
Mais dites-moi d’abord,
avant que je ne sorte :
Votre poisson,
vous le voulez de quelle sorte ?
Est-ce un
poisson d’eau douce ou un poisson de mer ? »
Surpris, car
elle le rendait toujours amer,
De cette
obéissance et sollicitude
Qu’Anieuse ne
montrait jamais d’habitude,
Il répondit : « De
mer ». Preste comme un renard,
Elle sort et achète
bientôt des épinards
Qu’elle amène au
logis, la mégère infâme.
« Parbleu,
vous êtes vite revenue, notre femme,
Dit Hain en la
voyant, de son retour content,
Vous n’avez pas
été au marché très longtemps ;
Je vais me
régaler, c’est une chose vraie !
Est-ce du chien
de mer, Anieuse, ou de la raie ? »
« Fi donc,
dit-elle, avec votre poisson pourri !
Vous maigrissez
et vous me semblez mal nourri,
Et vous voulez
qu’en plus je vous empoisonne !
C’est la pluie
qui contre vous, beau sire, raisonne,
Car elle a fait
tourner votre poisson hier.
De ne point l’acheter
soyez donc de moi fier. »
« Quoi ?
fit Hain, le poisson est frais, imbécile. »
« Te
contenter n’est pas, hélas, chose facile !
Repartit Anieuse,
tu es toujours fougueux ;
J’en perds ma
patience. Tiens ton assiette, gueux,
Va acheter ton
dîner toi-même et l’accommode. »
Elle jeta l’assiette
et comme de mode
Ils se
querellèrent longtemps en s’insultant
Et en jurant, l’un
de l’autre se révoltant.
Las de crier,
enfin, Hain dit à Anieuse
En quittant soudain
son humeur acrimonieuse :
« Comme
chat et souris nous nous pourchasserons
Et de vouloir
régner jamais nous nous lasserons.
Mais il faut en
finir et que tu m’écoutes :
Pour prendre un
parti une bonne fois pour toutes
Et savoir qui
est le maître de la maison,
Au lieu de
recourir, Anieuse, à la raison,
Je te propose
autre chose que la parlotte. »
Et là-dessus il
prit une vieille culotte
Et il lui
proposa de la lui disputer
Pour savoir qui
est le maître sans chahuter
Et régnera
toujours, ainsi, sur le ménage.
Elle consentit.
Deux gens du voisinage,
Témoins de leur
combat pour tenir le timon,
Vinrent, commère
Aupais et le voisin Simon.
On leur expliqua
tout, et notre mégère
Leur dit : « La
chose, mes amis, n’est point légère ;
Vous serez nos
juges, à vous d’épier et de voir
Et de faire
comme nous deux votre devoir. »
Simon, qui vit
que rien ne calmerait leur ire,
En faisant de
son mieux pour ne point en rire,
Interdit aux
champions alors de se servir
D’autre arme que
leurs mains, les laissa assouvir
Leurs vengeances,
et alla avec la commère
Surveiller ces
guerriers qui s’y conformèrent.
La cour, champ
de bataille pour ces ennemis d’airain,
Etait vaste et
offrait un propice terrain.
Anieuse, plus
traître que Hain et plus mutine,
L’insulte la
première, et la diablotine
Commence le
combat par quelques coups de poings
Que son mari à
lui rendre n’hésite point,
Puis elle saisit
la culotte qu’il empoigne ;
Chacun tire à
soi et de l’autre s’éloigne,
Et elle se
déchire en deux morceaux. Chacun,
En qualifiant l’autre
de lâche et de faquin,
Se les dispute,
sans être las de combattre,
Et bientôt ces
morceaux se déchirent en autres
Et les lambeaux
volent et emplissent la cour.
Anieuse, dont la
ruse lui apportait secours,
En se battant
trouve fourbement la manière
De saisir sire
Hain soudain par la crinière,
Et était sur le
point, ainsi, de l’emporter.
Aupais ranimait
son courage et sa fierté,
Mais Simon, juge
austère, lui cria silence
Et la menaça de
lui faire violence
Si elle osait
encor son soutien lui montrer.
Des mains de sa
femme Hain put se dépêtrer
Et la poussa
avec une grande colère.
Les lambeaux de
sa main alors s’envolèrent,
Elle cogna
contre le mur et, sans fardeau,
Recula et tomba
dans un baquet plein d’eau.
Hain la quitte
et ramasse, victorieux, ce qui reste
De la culotte,
et le montre aux juges, preste
D’être reconnu
comme le vainqueur du combat.
Anieuse
cependant qui au baquet tomba
D’appeler Simon
à son secours fut obligée.
Mais le voisin
dit à la mégère affligée
Que pour l’en
sortir il lui fallait obéir
Toujours à son
mari et ne plus l’assaillir.
Elle accepta et
fit ce qu’on attendait d’elle,
Après sa
guérison au traité fidèle,
Elle ne
contredit jamais plus son mari
Et lui obéit
sans avoir le cœur marri.
Quant à vous,
messieurs qui entendez mon histoire,
Il vous faudra
une semblable victoire
Si votre femme est
comme la femme de sire Hain ;
|
La Muse a commencé à soupirer le 08/04/2012. Poèmes publiés sur le Blog : 2164.
lundi 25 mai 2015
Conte: De sire Hain et dame Anieuse
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Mon avis sur cet article: