dimanche 5 avril 2015

Conte: Point-du-Jour (Partie II)

CONTE: POINT-DU-JOUR (PARTIE Ii) 


II. Ce qui arriva à Point-du-Jour pendant son voyage, et comment il put se tirer d’affaire

A l’aventure Point-du-Jour partit encore ;
Voici le soir, et il cheminait dès l’aurore,
Dans un arbre il monta, comme un singeteau adroit,
Tâchant de découvrir un propice endroit
Où il passerait la nuit ; il vit une lumière,
Et, marchant vers elle, trouva une chaumière.
Il entendit une voix bientôt l’interroger :
« Qui es-tu ? » « Ayez le bon cœur de me loger,
Car je suis un pauvre malheureux, bonne mère,
Répondit-il, et dont l’âme est bien amère. »
La femme qui vint lui ouvrir, l’air inhumain,
Avait des dents pointues, longues comme sa main,
Et les yeux de travers, et était bien hideuse.
Malgré son sombre aspect d’ogresse rôdeuse,
Elle dit doucement au garçon : « Pauvre petit !
Ne reste pas ici ; nul vivant ne sortit
De cette maison où tes pas te conduisent
Et où d’affreuses choses, la nuit, se produisent. »
« Tant pis, répondit Point-du-Jour, le sort railleur
M’y a conduit, autant mourir ici qu’ailleurs. »
Elle le fit entrer, le cacha sous la couche
Et pour qu’il se tût mit le doigt sur la bouche.
Un grand ogre rentra peu après avec bruit
Et cria : « Je sens la chair fraîche comme un fruit ! »
« Non, répondit la femme, une autre odeur l’imite,
C’est une tête de veau qui cuit dans la marmite. »
« Non ! cria-t-il encor, je sens bien de la chair !
Ne me cache rien ou tu vas le payer cher. »
La bonne femme le supplia : « Hélas ! maître,
A un garçon que j’ai trouvé daignez permettre
De vivre, car il est mignon, et sa maigreur
En fait un piètre mets. Soyez donc sans aigreur,
Avant de le manger, il faut qu’on l’engraisse.
Il est sous le lit. » Et voilà l’ogre se baisse
Et qui prend dans sa main le garçonnet poli.
« Ah ! s’écria-t-il, cet oiseau est bien joli !
Ses plumes sont dorées et elles sont belles. »
Dit-il en regardant sa chevelure rebelle
Et qui était blonde. Il criait, épouvanté,
L’ogre dit : « Chante-t-il bien ! J’en suis enchanté,
Mais j’en ferai tout de même une gibelotte.
Regardez-moi comment ça mord et se ballotte. »
Pour l’ouïr il l’approcha de son oreille, puis
Le pauvre garçon crut voir la gueule d’un puits ;
Il le posa sur le lit. « Il faut que tu dormes,
Petit oiseau, dit-il. Pour prendre des formes,
Je te ferai autant que tu voudras manger
Et en un bon oiseau gras je vais te changer. »
Au huitième jour le garçon, plein d’alarmes,
Devait être mangé et pleurait mille larmes,
Quand un lézard vint lui dire : « Ne pleure pas,
De cet ogre tu ne seras point le repas.
Tu m’as sauvé un jour, et si tu veux me croire
Tu seras délivré. L’ogre, dans sa main noire,
Va te porter auprès de son puits merveilleux
Où il lave ses mets ainsi plus croustilleux.
Tu y jetteras ta plume et tu diras à l’ogre :
Maintenant que je suis gras et ne suis plus maigre,
Laissez-moi regarder, avant que de mourir,
Votre puits, car je n’ai nulle part où courir.
Il y consentira, ce gros monstre immonde,
Et tu te trouveras dans un nouveau monde,
Quand dans cet abîme tu te laisseras choir. »
Point-du-Jour le fit et fut étonné de voir
De belles prairies, des villages et des montagnes,
Dans un monde nouveau, inconnus en Bretagne.
L’ogre était en colère et cria : « Ah ! quelqu’un
Lui a conté cela, un traître et un faquin !
Sur soixante-dix hommes, c’est le seul qui m’échappe !
C’est toi, femme, qui m’as trahi, je t’attrape,
Ce n’est que justice, je vais te dévorer ! »
Mais il ne le fit pas, ne pouvant adorer
La viande de cette femme vilaine et vieille,
Ogresse comme lui, à son maître pareille.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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