vendredi 6 février 2015

Du Convoiteux et de l'Envieux

Du convoiteux et de l'envieux


A Halim Bouallegue 

Bien longtemps avant que ne fussent écrits ces vers,
Vivaient deux compagnons qui étaient gens pervers.
L’un était convoiteux et toujours insatiable,
Et l’autre était envieux et un méchant diable
Que le bien des autres toujours désespérait ;
L’Envieux, empli de haine, dans l’ombre soupirait,
Et l’autre était plein de rage. Le sort rassemble
Souvent les méchants ; un jour qu’ils étaient ensemble
A faire la route et à maudire le destin,
Ils rencontrèrent, dans une plaine, saint Martin.
Le saint, en contemplant leurs mines peu pieuses,
Reconnut sans peine leurs inclinations vicieuses
Et de leurs cœurs jaloux la noire perversité.
Mais, tandis qu’ils parlaient d’or et d’adversité,
Il marcha avec eux sans se faire connaître.
Près d’un petit carrefour, avant de disparaître,
Il leur dit : « Mes amis, il est temps de partir,
Et pour m’écouter je vous prie de ralentir.
Je suis saint Martin, et grâce au divin Maître,
Je puis, sans vous mentir, tous deux vous promettre
De vous accorder un don, à la condition
Que celui qui va se taire par abnégation
Ait de ce que l’autre a demandé le double. »
Les deux fripons furent plongés dans le trouble,
Le Convoiteux, à cause de son vice, frémit
De faire un vœux, et de se taire se promit
Afin d’avoir encor deux fois davantage.
L’Envieux aussi, n’aimant guère ce partage,
Se tut, et l’autre lui disait : « Allons, l’ami,
Parle et ne tremble point. Ce saint, Dieu l’a mis
Dans notre chemin, pour nous rendre bien prospères.
Parle et tu auras tout ce que tu espères,
Tu seras toujours riche et tu peux être roi. »
Mais l’Envieux se taisait et était plein d’effroi
A l’idée que ce drôle, grâce à son assistance,
Devînt plus riche, et rejetait cette instance.
Tous deux restèrent ainsi, indécis, fort longtemps,
Se toisant, muets, l’un de l’autre mécontents.
Ils se querellèrent et s’injurièrent avec haine,
Et pour les calmer toutes les paroles furent vaines ;
L’Envieux enfin, colère, pria, le cœur hideux,
De perdre un œil, pour que l’autre perdît les deux,
Et le saint exauça sans délai sa prière.
L’un s’éborgna, l’autre ne vit plus la lumière,
Au lieu d’être tous les deux riches et bienheureux.
Ils avaient mérité, sans doute, ce sort affreux,
A cause de leur fureur et de leur bêtise.
La noire jalousie, comme la blême convoitise,
Est un feu qui finit par embraser celui
Dans le sein duquel il se répand et reluit.


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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