mercredi 31 décembre 2014

Conte: La Belle aux clés d'or (Partie II)

CONTE: LA BELLE AUX CLÉS D'OR (PARTIE II) 



II. La rencontre du jeune prince avec le diable, et comment il s’en défit

Un géant affreux aux dents longues comme la main
Parut au prince et lui dit : « C’est à moi, humain,
Que tu auras affaire, au lieu de ce lièvre
Que tu as poursuivi avec tant de fièvre,
Et de cette vieille femme à qui, insolent,
Tu as asséné, sans remords, un coup violent. »
Le prince tremblant lui répondit, d’une voix douce :
« Que votre altesse m’excuse si je la courrouce,
Je ne savais point que vous demeuriez ici. »
« Il est temps de prier, car tu seras occis. »
Dit le géant. Mais le prince versa des larmes,
Et de le laisser vivre avec tant d’alarmes
L’implora, que le noir géant lui dit : « Assez !
Tu m’ennuies, et vous tous, humains, vous me lassez
En croyant à votre force et votre noblesse
Alors que vous n’êtes que néant et faiblesse.
Je te ferai grâce, mais oublie ton palais,
Car, au lieu d’être prince, tu seras mon valet,
Et tu feras tout ce que je t’ordonne de faire. »
Le prince obéit, ne voulant point déplaire
A ce monstre, même au prix des plus bas travaux.
Dans son écurie où il y avait deux chevaux
Il le mena : l’un, gris, avait l’auge pleine d’avoine,
Et l’autre, une jument blanche affamée comme un moine
Laissé sans nourriture, maladif et ragot,
N’avait devant elle que de pauvres fagots.
« Tu nourriras, lui dit-il d’une voix hautaine,
Le cheval gris, et à la claire fontaine
Tu l’emmèneras boire chaque soir et chaque matin.
Quant à la jument, tu laisseras cette catin
Sans manger, et tous les jours, à grands coups de trique,
Tu la frapperas de la même façon colérique
Que la vieille que tu as frappée dans les bois.
Pour qu’elle reste en vie, ne lui donne que l’eau qu’elle boit,
Car pour qu’elle souffre elle ne doit point être morte.
Tu traiteras ces bêtes, chaque jour, de cette sorte ;
Ne l’oublie pas. Si tu veux vivre obéis-moi,
Je pars et je serai de retour dans six mois,
Une cloche m’avertira de tout ce qui se passe,
Si tu te rebelles contre moi tu trépasses. »
Le géant partit. Le prince, le lendemain,
Obéit aux ordres de ce monstre inhumain,
Nourrit bien le cheval gris, et en revanche,
Se mit à frapper sans merci la jument blanche.
« Pas si fort ! Pas si fort ! » S’écria la jument.
Stupéfait, le prince s’arrêta un moment,
Et il demanda à cette jument prostrée :
« Les chevaux parlent-ils dans ces lointaines contrées ? »
« Oui, répondit-elle, je parle et c’est pour ton bien ;
N’imagine pas qu’il ne t’arrivera rien,
J’ai été prise, comme toi, et en jument changée
Par le géant, et par lui je serai mangée,
Et si tu restes ici, le même sort t’attend.
Ce monstre que tu as rencontré est Satan.
Il nous faut fuir. Donne-moi de la nourriture
Pour que je t’emporte loin de cette créature. »
Le prince tremblant la soigna de son mieux,
Au bout de trois jours elle lui dit : « Quittons ces lieux,
Mes forces me reviennent. Sur mon dos mets une selle,
Et surtout n’oublie pas de prendre, ajouta-t-elle,
Avec toi ta brosse, ton étrille et ton bouchon.
Pour ce monstre puissant nous sommes des mouchons,
Sa cloche sonnera, hâtons-nous de prendre la fuite. »
Le jeune prince se mit en selle. Ensuite,
La jument blanche lui dit : « Éperonne, éperonne dur. »
Elle marchait comme le vent et avait le pas sûr.
« Éperonne, éperonne dur. » lui répéta-t-elle.
Ne vois-tu rien venir ? » Empli d’une peur mortelle,
Le prince répondit : « Non, rien. » Elle répéta
Une autre fois : « « Éperonne dur. » En piteux état,
Il se cramponnait à la selle de toutes ses forces,
Comme le naufragé aux épaves éparses.
La jument demanda : « Ne vois-tu toujours rien ? »
« Si, dit-il, je vois un gros nuage qui vient,
Embrasé de flammes, et qui sur nous s’avance. »
« Prends ta brosse ; il faut que derrière toi tu la lances. »
Aussitôt une forêt épaisse s’éleva,
Et le diable qui comme l’éclair et le vent va
Fut obligé de faire le tour. Au prince pâle,
Tremblant de la fin de cette aventure fatale,
La jument demanda : « Le revois-tu venir ? »
« Non » répondit le prince. « Tu dois te maintenir,
Lui rappela-t-elle, ou notre mort est certaine,
Or notre salvation n’est plus lointaine,
En selle. Éperonne dur, nous allons le revoir. »
Il s’écria bientôt : « Je vois un nuage noir
Qui vient fort vite, qui vient et qui nous attrape. »
« Jette vite ton étrille pour qu’on lui échappe. »
Aussitôt s’éleva un formidable mont
Qui à faire le tour obligea le démon.
Pendant ce temps la brave jument allait, rapide,
Et s’envolait dans les nuages limpides
En répétant à son cavalier mort de peur :
« Éperonne, éperonne dur. Car le vil Trompeur
Va revenir encore, et derrière toi regarde. »
« Je le vois ! Cria-t-il d’une voix hagarde,
Il vient et nous attrape et nous allons périr. »
« Avec ton bouchon tu dois vite le férir. »
Derrière eux s’éleva une montagne altière
Plus haute et escarpée que les deux premières,
Le diable en fit le tour. La jument, en rêvant,
Allait, pendant ce temps, rapide comme le vent,
Et dit au prince : « N’aie point peur. Bientôt, le diable
Perdra, face à nous, son pouvoir effroyable ;
Il sera, cette fois, par un pont retenu,
Et à sa caverne sera bientôt revenu. »
La jument s’envola encore, légère,
Et sur le pont les deux fuyards s’engagèrent.
Le diable courroucé saisit rageusement
La jument par la queue ; mais, courageusement,
Le prince, avant qu’il ne la fît descendre à terre,
Coupa de son couteau les crins qui restèrent
Dans la main du diable, qui à son preux rival
Criait maintes fois : « Rends-moi, humain, mon cheval ! »
« Jamais ! » répondait-il, fier de sa victoire,
Et le démon, changé en une nuée noire,
Le menaça d’abord, puis vint à le prier,
Et s’en alla enfin, se lassant de crier.

[A SUIVRE]


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

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