mercredi 1 août 2012

Le fils pieux


Le fils pieux


 Un homme et sa mère vivaient tous les deux seuls
Dans le désert vaste et pareil à un linceul
De Mina, à quelques lieues de la sainte Mecque.
Il n’avait qu’un chameau, une épée et des loques
Et dans son bouge sombre et inhospitalier
N’accueillait personne, oublieux, oublié
Et pareil au spectre d’un manoir énorme,
Car nul ne frappait à sa porte difforme
Hormis le vent qui passe, agile et curieux.
Il ne parlait guère et était mystérieux ;
Une fois, voulant sans doute éprouver son courage,
Des nobles de Quraïch, à la fleur de l’âge,
Lui jouèrent, le sourire aux lèvres, un méchant tour :
Voyant que nulle tribu n’irait à son secours
Et qu’il était seul, ils l’attaquèrent dans l’ombre
En rugissant, pareils à des brigands sombres.
Deux furent tués et le troisième s’enfuit
En pleurant comme une veuve esseulée. Depuis
Ce jour, quand le pauvre passait, la mine hagarde,
Nul n’osait plus railler son chameau ou ses hardes.
Il n’y eut aucune vengeance d’un père irrité,
Le meurtre n’ayant pas été prémédité.
Les vieillards dirent aux pères : « Vous connaissez nos règles. »

La mère de ce brave manant était aveugle,
Vieille et infirme, tout pour elle était noir.
Elle ne pouvait marcher et elle ne pouvait voir,
Ô, supplices que le sort aux mortels inflige !
Chaque jour et chaque nuit, à cette damnée qui afflige
Les hommes les plus farouches et les cœurs les plus durs,
Sans maudire son destin, le fils vaillant et pur
Apportait un peu d’eau et de nourriture.
Levant ses yeux sans voir, la pauvre créature
Lui disait : « Fils chéri, sois béni par les dieux. »
Tous ceux qui le voyaient disaient : « C’est un fils pieux ! »
Quand il vit Mahomet il dit : « Ce n’est qu’un homme ! »
Il adorait ces dieux terribles qu’on nomme
Manat, le Destin, et la puissante Alilat,
Et maintes fois, dans l’ombre prosterné, leur parla
En murmurant souvent : « Ce ne sont que des pierres ! »
Et en continuant son ardente prière.
Une nuit, sa mère mourut. Il en devint chagrin
Et tellement maussade, qu’il en mourut. Serein,
Mahomet dit à ses disciples : « Qu’on l’enterre
Dans la  même tombe que sa pauvre mère.
Je prierai pour que ses péchés soient pardonnés. »
Et les disciples se regardèrent, étonnés ;
Mahomet prosterné pria sur sa tombe.

A l’heure où la pâle nuit sur le monde tombe
Eteignant le soleil comme un morne flambeau,
Le mort se réveilla dans son étroit tombeau
Et dans son cercueil il rouvrit ses yeux étranges
Et vit, debout à ses côtés, les deux anges
Du trépas, qui ont pour noms Nakir et Mounkar,
Armés de leurs épées et le feu dans leurs regards.
Mounkar lui demanda : «Homme que le ciel abhorre,
Comment s’appelle le dieu que tu adores ? »
Et le ressuscité qui tremblait répondit :
« J’en ai plusieurs. » « L’enfer t’attend. Le paradis,
Sombre pécheur, te ferme éternellement ses portes. »
Cria l’ange. « Quel est le nom que ton prophète porte ? »
Lui demanda Nakir. « Hélas ! Je n’en ai point. »
« Mauvaise réponse ! L’enfer n’est pas loin. »
Hurla Nakir. Et les deux anges effroyables
Prêts à donner le coup d’épée formidable
A ce pécheur, pour qu’il plongeât par l’ombre étreint
Et allât à l’enfer lugubre et souterrain,
Dégainèrent leurs lames que l’attente courrouce.
Soudain une voix mélodieuse et douce
Comme un chant dans la tombe ténébreuse s’éleva
Et dit : « Ce n’est point à l’enfer que cet homme va.
 Cachez vos épées et cessez vos anathèmes,
Il va au paradis avec sa mère qui l’aime. »


Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

2 commentaires:

  1. Ici la version théologique l emporte sur la version historique dans ce beau récit poétique ayant des fins humanitaires de tout temps..

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  2. C'est vrai que le sacré, dans son sens le plus vaste, demeure une immense source d'inspiration.
    Cordialement,
    M.Yosri.

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