vendredi 20 juillet 2012

Marzouki et la voûte


Marzouki et la voûte


 Marzouki, en levant fièrement sa tête chauve,
Contemplait la voûte avec ses yeux de fauve
Et disait à l’ombre, par l’orgueil aveuglé :
« Vivants, et vous spectres de la nuit, tremblez !
Sur ce pays courbé devant moi je règne,
Les manants suppliants attendent que je daigne
Pour embrasser ma main, reluire devant eux.
Ben Ali, l’aile brisée, comme un aigle boiteux
A fui en sentant l’heure de sa chute trop proche
En faisant au peuple révolté des reproches,
Dans son antre caché et sans doute blessé,
Il gémit quand il voit son nom sombre effacé
Et mon nom radieux et loué avec zèle.
Ne suis-je pas grand ? Ma gloire n’est-elle point éternelle ?
Jadis gémissant dans quelque noire prison,
Jadis exilé de ma patrie sans raison,
J’étais seul et j’avais devant moi l’abîme.
Aujourd’hui, mon bourreau châtié pour ses crimes,
Comme moi par l’exil maudit et éternel,
J’ai usurpé son titre auguste et criminel !
Ben Ali ! Ben Ali ! Entends-moi, si tu l’oses !
Je règne sur les hommes, je règne sur les choses
Et sur ce peuple hagard qui ne m’a point élu,
Et bientôt je tiendrai les astres chevelus
Par les cheveux, et je dirai aux vents rapides
Qui se meuvent et remuent leurs ailes limpides :
« Je vous l’ordonne, vents agiles, arrêtez-vous ! »
A peine prosterné, ce pays à genoux
Chantera à ma gloire les chants qu’elle mérite ! »

Ainsi, élevant sa voix que le silence irrite,
Parlait Marzouki. La voûte qui méditait
Etait silencieuse et elle l’écoutait
Et de ses yeux voyait les éclairs farouches.
Tout à coup à son tour elle ouvrit la bouche
Et elle dit ceci au monarque forcené :
« Prends garde, insensé à régner condamné !
Ce faste, ces sujets, ces sceptres et ces trônes,
Ces encens qui fument, ces miroirs qui rayonnent
En vous disant toujours que vous êtes le plus beau,
Présents empoisonnés ! De la griffe du tombeau
Qui à l’abîme ont emporté maintes proies
Que le Destin, avant de les sacrifier, broie,
Nul mortel, roi ou non, ne peut être sauvé.
Mon œil toujours ouvert a déjà vu rêver
Dans ces lieux le despote et le visionnaire,
J’ai ouï gronder la houle révolutionnaire
Et je sais qu’on est plus maudit quand on est roi.
Ce qui te rend heureux doit te remplir d’effroi,
Toi qui règnes, à ceux qui régnèrent avant toi pense,
Et sache que le trône est un précipice immense »


 Par: Mohamed Yosri Ben Hemdène

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Mon avis sur cet article: